Houston ? Les femmes sont arrivées
Quelques mots sur l'histoire, sans trop spoiler. Nous allons suivre le parcours de trois femmes noires, mathématiciennes employées à la
NASA en tant que "calculatrices" : charge à elles de résoudre les équations pondues par les ingénieurs pour sortir les chiffres qui vont bien. Pas le plus valorisant des boulots, mais indispensable avant l'arrivée des ordinateurs (et en 1961, un ordinateur ça ressemblait à ça :
...mais, à l'arrivée, on a réussi à marcher sur la lune !)
Notre trio black est servi par d'épatantes interprètes, remarquables de justesse et de pudeur dans leur jeu. Les sentiments passent par la simple expression de leur visage et on apprécie énormément que le film nous épargne l'écueil de scènes "dramatiques" à foison, servies sur des musiques spécifiquement conçues pour nous tirer des larmes. De l'émotion, il y en aura dans le film, mais jamais de manière forcée.
Car nos trois femmes vont, à leur manière, de mille et une petites façons, faire lentement évoluer les mentalités et tenter de remettre un peu d'équité dans leur monde. Leur combat, qui exista réellement, est la plus belle leçon que pourrait nous offrir le film. À l'heure où beaucoup de choses semblent échapper à notre contrôle, il est important et rafraîchissant de rappeler que les actes de tous les jours peuvent avoir une véritable influence.
Des noirs et des hommes
Hidden Figures a l'intelligence de nous proposer d'emblée un double sujet : la ségrégation dans les états du Sud des USA au travers du prisme de la
NASA. C'est extrêmement futé, car le film n'est pas tant un énième docu-fiction qu'une histoire très réelle au sein d'une industrie de pointe. De là est tirée toute la force de son argumentaire. On est ainsi choqué, profondément outré même, de découvrir la manière dont sont traités les noirs dans l'un des plus grands établissements scientifiques au monde. Qui plus est un organisme public ! Ici, le personnel est qualifié, de très haut niveau, qu'il s'agisse des noirs ou des blancs : après tout, tout ce beau monde est en train d'inventer la technologie spatiale pas vrai ? Autant vous dire qu'il y a de la matière grise au m².
Et malgré tout, ces gens, que l'on comprend être très intelligents, ne voient absolument rien d'anormal dans l'inégalité flagrante qui régie la vie de leurs collaborateurs. Les toilettes séparées, les places assises réservées aux noirs dans les bus, le restaurant coupé en deux entre les "color people" et les autres ! Et donc tout ça à la
NASA. C'est un peu comme si le
CNRS nous expliquait sans fard qu'aucune femme ne pourrait jamais faire un chercheur correct (remarquez, à voir les chiffres des effectifs et des promotions, on se demande si ce n'est pas ce qu'ils pensent… mais je m'éloigne).
Ces choses, inimaginables à notre époque, nous font hurler à juste titre. Le décalage est d'autant plus fort que l'immersion du film est remarquablement efficace : les noirs eux-mêmes semblent en partie résignés à la situation. La mise en contexte est bouleversante, tant les rares à tenter de faire les choses semblent faire face à une quantité d'obstacles injustes et purement racistes. Le mot est fort, je l'admets, mais il semble ici impossible à ignorer.
Un tel sujet eut-il été suffisant pour faire un bon film de deux heures ? Clairement non : on ne vient pas au cinéma pour se faire servir une leçon de morale. Par bonheur
Hidden Figures évitera cet écueil. On suivra les péripéties de nos trois héroïnes en même temps que l'Histoire accomplit son chemin et que la conquête spatiale prend à son tour son envol. C'est là le deuxième aspect du film et il est tout aussi réussi que le premier.
Dark side of the moon
Au-delà du quotidien et de l'horrible réalité de la ségrégation, il y a donc cette course à l'espace. Un sujet qui sublime la vie "normale", tant la nation tout entière d'Amérique se sera prise de passion pour ces extraordinaires accomplissements.
Car en 1960, les Russes ont envoyé le premier satellite dans l'espace puis, vite après, le premier homme dans l'espace ! La lune semble à portée de main. Pendant ce temps, les Américains collectionnent les déboires et les fusées qui explosent ; côté européen (rions un peu), nous essayions vaille que vaille de simplement construire un "simple" avion à réaction (et croyez-moi, ce fut un sacré foutoir. Plus tard on construira Ariane, le meilleur lanceur spatial au monde, mais vraiment plus tard).

"I am not angry. Not yet..."

"I have absolutely NO idea of what we're supposed to do"
La tension est palpable à la
NASA : les militaires hurlent toutes les semaines sur les responsables du projet, menaçant de traiter leur incompétence notoire à la "manière forte" ; pour ne rien arranger, le président appelle lui aussi constamment et exige des résultats, histoire d'arrêter d'être la risée du monde occidental. Au milieu de tout ça, Kevin Costner reste stoïque et se contente de martyriser ses équipes. Les problèmes s'accumulent dans tous les sens, il faut inventer de nouvelles technologies, les mathématiques existantes ne suffisent pas, bref, c'est le bazar.
Un bazar tel qu'on se demanderait presque comment les Américains ont réussi à s'en sortir. Les ingénieurs parmi nous retrouveront une ambiance bien connue quand tout part à vau-l'eau dans un projet. Les autres s'amuseront et se sentiront transportés par le sentiment de conviction inébranlable de ces hommes et femmes qui s'acharneront vaille que vaille à trouver une solution à leurs problèmes.
C'est un véritable plaisir d'être aux côtés de ces groupes et de vivre leur aventure. On a beau savoir comment se finit l'histoire,
Hidden Figures réussit à nous transporter et à rendre toutes ces péripéties palpitantes. À l'instar de l'extraordinaire
Apollo 13, auquel il n'a rien à envier dans la tension de ses scènes et sur la pédagogie dont il fait preuve.

"Houston ? Je crois que j'ai vraiment un problème là"
Heureusement, "Sheldon" est là pour nous remonter le moral (Jim Parsons, absolument savoureux dans son rôle) :