Depuis sa sortie en 1989, Prince of Persia est passé d’un jeu développé par une seule personne dans sa chambre, utilisant son petit frère comme modèle physique, à une saga bien implantée dans le paysage vidéoludique, jusqu’à un blockbuster Hollywoodien en passant par des livres narrant l’histoire du célèbre héros et de son sabre. C’est une série reconnue et ayant activement participé à faire de notre médium favori ce qu’il est devenu aujourd’hui. Fier de son travail et de son parcours à travers l’épreuve créative qu'est celle de développer un jeu vidéo, Jordan Mechner nous ouvre les portes de son intellect et de ses déambulations psychologiques à l’aide d’un bouquin de 304 pages baptisé « La création de Prince of Persia. Carnets de bord de Jordan Mechner 1985-1993 ». Ce beau bébé prend la forme de notes diverses puisqu’elles sont directement reprises des carnets entretenus par le monsieur pendant la création de Prince of Persia, dans la fin des années 80.
Jordan Mechner est donc célèbre pour avoir conçu Prince of Persia, mais aussi The Last Express ainsi que Katateka. Si ces deux derniers ont clairement eu moins d’impact que sa création originelle, le monsieur a eu la bonne idée d’entretenir l’écriture de journaux pendant le développement de Prince of Persia pendant sept longues années. La lecture est, bien évidemment, passionnante, puisque Mechner a eu la bonne idée de publier ses notes sans y apposer aucun filtre (ou presque). Lorsqu’on dit « sans filtre », c’est parce l’écriture est ponctuée d’anecdotes concernant certaines personnes qu’il n’aimait pas forcément, qu’il dévoile sans peur ses insécurités et angoisses par rapport à sa vie amoureuse ou encore parle de son rapport à son jeu, ses craintes et ses espoirs concernant le titre et sa sortie (et des dernières journées très stressantes de développement).
Jordan Mechner
La lecture du livre peut surprendre à plusieurs égards : en plus d’avoir ce côté « sans filtre » finalement assez plaisant, on pouvait s’attendre à un récit assez sec, froid et cartésien sur la conception d’un jeu vidéo. Et bien pas du tout. L’écriture est plaisante et regorge d’anecdotes humoristiques de Mechner qui a, en plus, revisité ses notes d’origine avec de nouvelles remarques, précisions et croquis qu’il a maturés au fil des années et qu’il nous offre aujourd’hui avec une vision plus sage. Il faut effectivement savoir que le monde du jeu vidéo est en perpétuelle évolution et qu’un développement de jeu dans les années 80 était loin de ressembler à ce qu’on peut faire maintenant, même si la tâche de faire ça seul ressemble toujours autant à une traversée du désert. Pour cela, je vous invite d’ailleurs à lire « Du sang des larmes et des pixels » écrit par le journaliste de chez Bloomberg (ex Kotaku) Jason Schreier, qui dédit tout un chapitre de son ouvrage à Eric Barone, le développeur « solo » de Stardew Valley. Ici, les écrits de Jordan Mechner retracent ses rencontres avec d’autres grands développeurs jusqu’à ses commentaires après avoir acheté tel ou tel nouvel ordinateur ou encore discuté des sorties du moment. C’est une vraie petite fenêtre sur une jeunesse folle des années 80 avec un regard frais (et presque naïf par moments) sur l’industrie du jeu PC et la manière dont ses rouages pouvaient presser ses créateurs comme des citrons (et le font encore). En plus de ces commentaires pleins de vie, une partie des écrits est bien évidemment dédiée au processus de conception d’un jeu vidéo avec quelques notes techniques qui feront plaisir aux puristes.
Prince of Persia (1989)
Ne s’attardant pas forcément que sur la sphère vidéoludique dans laquelle baigne ses créations, on apprend également les autres passions de Mechner, comme le cinéma et comment certaines techniques de ce médium l’ont aidé à approcher la modélisation de son Prince avec le plus de réalisme possible. Il évoque notamment la rotoscopie utilisée sur son petit frère (l’anecdote qu’un peu tout le monde connait), consistant à relever les contours d’une image filmée en prise réelle afin de redessiner les formes et actions avec le plus de justesse possible. Le destin était presque tracé à l’avance : son Prince de Perse finira sur les écrans grâce à la caméra de Mike Newell (Jerry Bruckheimer à la production), renvoyant directement Jordan Mechner à ses rêves de cinéma.
Quel avenir pour la série ? (Image : Ubisoft)