Child of Eden : interview et présentation

Child of Eden : interview et présentation

Child of Eden - PS3

Genre : Shoot émotionnel

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À l’occasion de sa venue à Paris, le créateur Tetsuya Mizuguchi nous a présenté Child of Eden, à sortir pour le 16 mai sur Xbox360 et compatible Kinect. Accompagné de Tommy François, directeur des nouveaux projets chez Ubisoft, il nous a fait découvrir l’un des niveaux du jeu et révélé les ambitions du projet, avant une interview précisant certains aspects de son travail. Le mot-clé est « synesthésie ». Ce concept est expliqué dans la vidéo ci-dessous : il s’agit de proposer une expérience regroupant les différents sens du joueur, de créer des émotions en liant tous les éléments du jeu vers un même but. Les deux mots que les collaborateurs ont eu à l’esprit chaque jour du développement étaient « joie » et « espérance », les sensations que le joueur doit percevoir en permanence. Ainsi un geste (qu’ils soit à la manette ou via Kinect) crée un son, un son correspond à un événement, un événement entraîne un nouveau geste, etc. D’autres éléments font partie de l’expérience, comme le rythme, les dimensions des objets, l’espace entre eux… Le tout semble former une expérience aussi complète que possible, captivante pour peu qu’on ose se laisser emporter.

Child of Eden : Trailer Synesthésie par GameHope
L’histoire (sans détailler) : Lumi, premier être humain né dans l’espace, au 23è siècle, est infectée par un virus. Gardienne de l’Histoire de l’humanité, elle doit survivre et préserver ses connaissances en les téléchargeant dans Eden, un Internet évolué, lieu où se passait l’action de Rez, l’épisode précédent sorti il y a 10 ans, et disponible sur XBLA en version HD. Vous devez la sauver, et ainsi sauver la mémoire de l’humanité. Il n’y a pas de personnage ou d’entité à laquelle s’identifier, si bien que le joueur est immergé plus activement dans le jeu. L’utilisation de Kinect permet d’augmenter cette implication par la gestuelle, lisse et simple : le bras droit pour l’arme principale, le bras gauche pour l’arme secondaire (qui sert surtout à contrer les tirs ennemis), et les deux bras en l’air pour activer l’Euphoria, équivalent hippie de la « bombe qui tue tout et y a plus rien ». Le jeu, développé par une équipe de 35 personnes environ, comprend quelque chose comme 5 niveaux, plus quelques bonus. La quantité pourra rebuter ceux qui s’attachent beaucoup à ce détail, mais Tommy François s’en explique : pour un tel jeu, il vaut mieux avoir peu de niveaux mais fantastiques, plutôt que plusieurs moins bien finis. Chaque niveau aborde un thème bien précis, une émotion, un sentiment en accord avec le ton du jeu, dont chaque détail est travaillé avec soin. Et pour une fois, quand quelqu’un nous dit ça, le résultat est visible. Les effets visuels, les impressions qu’on en retient, dépassent de loin les différentes vidéos qu’on en a vu sur le net. Côté durée de vie, Child of Eden n’en est pas pour autant un jeu qu’on mettra vite sur une étagère pour ne plus y toucher. Sans nous exposer la chose en détails, les créateurs nous ont assuré que de nombreux éléments alimentent la rejouabilité du titre, notamment la possibilité d’importer ses propres musiques, et de refaire les niveaux selon le rythme de ces musiques ! Ça reste à tester, pour voir si les vagues d’ennemis arrivent à suivre la cadence de Benny Hill. En jouant, on débloque également du contenu pour modifier les sons des actions, ou personnaliser le jardin spatial qui sert de menu principal. Après quelques essais prometteurs sur un niveau du jeu, nous avons retrouvé Tetsuya Mizuguchi et Tommy François pour un entretien privé, afin de pousser plus loin la réflexion. Et comme vous le verrez, l’un des deux est très bavard ! ------- GameHope (à Tommy François) : À l’E3 2010, tu nous avais présenté Innergy, un logiciel de relaxation utilisant un capteur sur le même modèle que le Vitality Sensor de Nintendo. Avez-vous essayé cet appareil sur Child of Eden ? Tommy François : Non, O-zen (ndlr : c’est probablement le nom actuel d’Innergy, ou quelque chose s’en approchant) et Child of Eden sont très proches sur la thématique, mais ce sont deux formes de bien-être différents. Une où l’on est dans la gestion du stress, avec la cohérence cardiaque, l’autre où l’on est dans une formule de bien-être, où c’est la thérapie par le sourire. Sébastien [Kochman, responsable du jeu] et Miz se connaissent, ils s’apprécient, ils se sont rencontrés avec d’autres créateurs d’Ubi. On est en train de voir, mais en toute honnêteté, il faut d’abord qu’on finisse bien O-zen et qu’on maîtrise toutes les problématiques de design (et il y en a beaucoup). On prend notre temps parce qu’on veut que ce soit le jeu le plus calé possible. Comme Child of Eden, il faut que ce soit bien ficelé pour laisser un bon souvenir, mais c’est tout à fait dans le champ des possibles et des choses envisageables, il faudra qu'on essaye ! En tout cas, je pense que les bio-feedback font partie de l’avenir du jeu vidéo. Tetsuya Mizuguchi : Absolument. GameHope (à Mizuguchi) : Etes-vous étonné qu’un éditeur européen tel qu’Ubisoft, qui en général ne fait pas ce type de jeu, vous approche pour ce projet ? Tetsuya Mizuguchi : Non, pas surpris. C’était un chemin naturel, pour moi. Je ne sais pas si Rez ressemble à un jeu japonais, asiatique, ou oriental. Mais pour avoir une évolution, passer à l’étape suivante, avoir une forme et une expérience mondiales, universelles, la façon dont sonne la musique, les effets visuels, les sensations (grâce à la détection de mouvement)… C’était une alchimie évidente pour moi. J’ai vraiment aimé ça. Et Tommy aussi. Tommy François : En fait, ce n’est pas uniquement Ubi qui a été voir Miz pour faire ça. Miz et moi, on se connaissait d’avant. On s’est vus au Tokyo Game Show 2008, et c’est lui qui m’a dit « Tiens, j’aimerais bien faire une suite spirituelle à Rez ». Quand tu parles d’Ubi, et je vais t’expliquer pourquoi j’y travaille : c’est vrai qu’il y a beaucoup de jeux Clancy, Assassin, et tout, mais il y a aussi beaucoup de Lapins Crétins et beaucoup d’autres choses qui sont dans des valeurs différentes. Ubisoft, c’est sans doute une boîte où c’est plus simple de démarrer un projet créatif et innovant. Regarde l’histoire d’Ubi, regarde tout ce qui a été fait, par exemple Rayman : ça n’a jamais été des copies de Mario ni de Sonic. Il n’y avait pas de bras pour que ce soit un sprite qui prenne moins de place en mémoire, que ce soit un jeu de plate-forme plus animé. Splinter Cell, c’était pas une copie de Solid Snake, c’était un jeu qui partait d’une technologie d’ombres et de lumières qui… Si, c’est très important ! Parce qu’en tant que créateur c’est ça qu’on va chercher. Un gars comme Miz, quand il vient voir une boîte comme Ubisoft il se dit « Eux ils ont envie de tenter des trucs nouveaux ». Parce qu’on peut regarder ce que sont les produits, mais il faut comprendre la démarche créative qu’il y a derrière, l’effort et la passion. Et pour faire un travail comme celui de Child of Eden, il y a un effort et une passion absolument énormes. Ubi (pour avoir fait beaucoup de boîtes de jeux vidéo) c’est sans doute celle où j’ai vu le plus de gars qui bossent en recherche et développement, et qui le partagent. Ça, c’est unique, c’est un truc autour duquel on s’est trouvés Miz et moi, on a bossé 4-5 mois pour bien lécher, peaufiner la position créative et on a été montrer le 6 janvier 2009 à la direction d’Ubisoft. Et là où Miz s’était déjà fait jeter par tous les autres éditeurs de la planète, dont ceux qui pourraient avoir une image plus « on fait des jeux à la Child of Eden » (mais au final non), là on a pris le temps de faire les choses, de réfléchir à ça, et ça a été du pain béni ! Ils nous ont dit « c’est génial, go go go ! ». On est sortis, et après toute la boîte a aidé. Alors que par exemple, même des boîtes comme SEGA, qui ont sorti Rez à l’époque, et Miz pourrait t’en parler, il était furieux parce qu’il n’y avait pas le support de SONY et SEGA pour sortir le jeu aux Etats-Unis et en Europe. C’est une chose de le faire, mais après il faut que toute la famille, c’est à dire le marketing, la production, la distribution… Que tout le monde travaille dans le même sens. Parce que c’est ensemble qu’on fait les choses et c’est pas une personne. Une grande partie de la réussite dans n’importe quel projet créatif, hors jeux vidéo, c’est la capacité à convaincre, donner envie aux gens, être dans ce feu positif qui fait que tout le monde va dans le bon sens. GameHope : Child of Eden aurait-il pu exister sans Kinect ? Tetsuya Mizuguchi : Nous avons commencé ce projet d’abord sans Kinect, dans la première étape du projet. Puis nous avons fait une présentation à Yves Guillemot, le président d’Ubisoft. C’est lui qui a suggéré ça. Ce n’était pas encore « Kinect », on ne connaissait pas, il a dit « il y a cette nouvelle technologie, avec une caméra, vous devriez essayer ». J’ai essayé, et j’ai été très excité. Mais dans ma tête, je devais faire un jeu dans lequel on jouait avec une manette, c’était suffisant. Jouer avec Kinect, c’était une toute autre expérience. Le jeu est le même, mais l’expérience, différente. C’était pas si facile, mais j’ai pu le faire. Tommy François : Oui, au début on a démarré sans, après bien sûr que ça a des implications, bien sûr qu’on a designé les vagues d’ennemis différemment parce qu’on ne voulait pas que les mouvements soient hachurés, on voulait que ce soit plus sensuel, que ça tourne plus, que la sélection des ennemis se fasse plus dans des mouvements arrondis. Mais j’ai envie de dire que Kinect a aidé la version manette, parce qu’au final cet effet là a fait augmenter la qualité de la version manette. Ça nous a fait faire plus de sensualité dans les mouvements : quand on fait des arcs de cercle, des ronds, c’est plus agréable à la manette quand on joue à Street, quand on joue à certains jeux qui sont comme ça, c’est ce type de mouvement que tu retrouves. Quand tu fais un projet en fait, soit t’es comme ça (ndlr : étroit d'esprit), soit tu rebondis sur les idées d’un autre, et t’essayes de grandir, d’être d’accord avec le fait que ce soit pas juste ton idée qu’on partage et qu’on arrive à monter. Donc Kinect, c’est surtout une bonne opportunité, ça nous permet d’arriver avec quelque chose de nouveau et de franchement frais et je pense que ça contribue à faire que ça soit pas juste une suite à Rez, c’est une bonne dose d’innovation. Tetsuya Mizuguchi : Un problème est que si tu joues avec Kinect, tu n’as pas la sensation des vibrations comme avec la manette. Mais on a conçu un système pour attacher des manettes à ton corps et ressentir les vibrations. (ndlr : il nous en fera le détail un peu plus loin) GameHope : Toujours par rapport à la création, à propos de Genki Rockets, lequel des deux projets est arrivé en premier ? Est-ce que Genki Rockets et Lumi reviendront dans d’autres jeux pour développer une histoire sur le long terme ? Tommy François : Sur le processus créatif, à la base, on ne pensait pas à Genki Rockets. On pensait à du Beethoven, à d’autres styles de musique pour casser avec Rez. On se disait « tiens, ce serait intéressant d’essayer sur d’autres registres ». Mais on s’est vite aperçu que… Si t’imagines que Child of Eden c’est un gros gâteau. Dessus, il y a une framboise. Cette framboise veut dire « joie et espérance ». Le but pour Miz et moi dans le game design c’était de dire que dans chaque couche du gâteau, il y avait « joie » et « espérance ». Good vibe, tu peux le dire comme ça. Et ça c’est dans tous les moyens interactifs et non interactifs qui sont supportés par la réalisation, le gameplay, et tout ce type de trucs là. Et très vite quand on est arrivés sur la musique, c’est Miz qui un jour me dit « peut-être qu’on peut utiliser mon groupe, il y a une logique identique, c’est good vibe ». Et c’est vrai que Genki Rockets, si t’as déjà vu des spectacles en live, ça prône plutôt du « on est joyeux, ensemble, on donne » et tout ça. Donc d’un seul coup on s’est aperçu que c’était plus logique si on voulait avoir une expérience cohérente et qui venait du cœur ou de ventre. Il fallait que ce soit les Genki, c’était même plus une discussion possible, c’était automatiquement les Genki, c’était plus rien d’autre. Et quand on en a parlé avec la direction d’Ubi ils nous ont dit « vous avez raison ». La star c’est pas des musiques pour lesquelles on va payer qu’on a pas composées, il vaut mieux qu’on soit cohérents et fidèles avec nous-mêmes. Tetsuya Mizuguchi : Les Genki Rockets, ce n’est pas uniquement de la musique. C’est aussi les effets visuels, les vidéos, la 3D, le principe de synesthésie… Ce n’est pas de l'interactif, mais de l’audiovisuel ou du live. Genki Rockets existe surtout dans la proximité avec le public, être ensemble et ressentir les choses ensemble. Ce n’est pas un jeu comme Child of Eden, et c’est autre chose que juste une partie du jeu. Nous n’avons pas de limite, pas de restriction en faisant ce que nous faisons. J’ai utilisé le concept de Genki Rockets dans le jeu même si ce n’est pas la même chose mais, vous savez, tout est connecté. Et peut-être ferons-nous de futures histoires, de futurs concepts avec Genki Rockets? Mais je ne sais pas encore, peut-être que oui. Ce n’est pas comme du live, sur une scène, donc ce n’est pas le genre de chose à laquelle on réfléchit en tant que groupe… GameHope : Cela n’a-t-il pas été trop déroutant de faire un gameplay sans accessoire pour Mizuguchi, lui qui avait poussé très loin le côté sensoriel, physique, avec le trance-vibrator ? (ndlr : un périphérique oblong et vibrant pour Rez, pouvant servir à des activités solitaires que la morale réprouve) Tommy François : le jeu fonctionne aussi avec les manettes, et celles-ci vibrent. Il y a donc toujours un aspect physique dans le design du gameplay. Et même avec Kinect l’équipe de Miz a designé un corset où on peut mettre jusqu’à 4 manettes. C’est très dur de créer de la synesthésie sans les vibrations, sans le toucher qui est l’un de nos sens. Tetsuya Mizuguchi : On avait un équilibre à trouver. On avait besoin d’utiliser tous les sens possibles. Kinect est une technologie incroyable. Mais bien sûr nous avons besoin d’un retour sensoriel de nos actions. Nous avons fait des tests pour ça, pour concevoir le corset dont on parlait. C’est vraiment fun, une vraie nouvelle expérience. Le beat vient, la musique vient par les vibrations, et nous avons inclus deux types de vibrations. L’une vient de la musique du jeu, l’autre vient de vous. Si vous faites ça (il jette son bras en avant) « brrrr ! brrrr ! boum, boum, boum, brrrr ! ». C’est sensuel. Je pense que le futur du jeu vidéo s’intéressera à cette question. Tommy François : pour revenir sur ta question d’Ubisoft et de ses productions : Ubi c’est aussi la boîte qui sort des From Dust, Outland, etc. C’est un équilibre en fait. C’est ce que je voulais dire. On ne peut pas être créatif sans faire le reste. Sinon, on n’arrive pas à survivre. Du coup, même s'il sort beaucoup d’Assassin, c’est peut-être un des jeux les plus créatifs du monde. Si tu réfléchis en termes d’innovation à ce que le jeu fait sur un nombre de points… Depuis qu’Assassin est sorti, combien de jeux ont des gars qui grimpent partout ? Tu connais ce qu’on appelle le breakthrough ? Les recherches de breakthrough technologique, c’est un truc que Pixar utilise. Par exemple dans Star Wars les techniciens ont fait un système qui permettait aux vaisseaux de bouger sur des décors qui bougeaient. Avant quand t’allais au cinéma, tu voyais des vaisseaux qui bougeaient sur un fond statique. Quand t’étais gamin et que t’as vu Star Wars, t’es ressorti avec des étoiles plein les yeux parce que tu t’es dit « oh putain, j’avais jamais vu ça ». Devant Monstres et Cie, t’avais peut-être jamais vu des technologies de pointe comme ça. Quand t’as vu Ratatouille, t’avais jamais vu des changements de focale dans un truc en 3D. Assassin, et beaucoup de jeux, c’est pour ça que c’est pas toujours quelque chose qui apparaît comme créatif, j’ai envie de dire que les meilleurs films d’effets spéciaux c’est comme Forest Gump, tu vois jamais les effets spéciaux et pourtant c’est sans doute là qu’ils sont les meilleurs. Donc il y a beaucoup de jeux, et Assassin pour moi c’est un truc de fou. Honnêtement, c’est pas mes goûts personnels. C’est pas ce sur quoi je viens. Par contre je suis obligé de respecter le travail qu’il y a parce que c’est un truc de fou, c’est comme si tu skiais dans une ville, et tu peux y grimper partout. C’est comme quand tu regardes Quake. Depuis qu’ils ont fait « rejoindre une partie multijoueur on the fly » tout le monde l’a fait. Les bonnes innovations, ce sont celles-là. Donc tu vois des trucs qui sont repris d’un Assassin, de tel ou tel truc, tout ça… Et même les Lapins. Les Lapins c’est une sorte de défouloir qui s’adaptait bien à son média, qui contrôlait ce que voulait dire la Wii. Donc bien sûr qu’il y a des choses qui sortent fréquemment, mais même les jeux qui semblent être des blockbusters, c’est pas parce que ce sont des blockbusters qu’il n’y a pas un énorme travail de créativité de plein de gens. ------- Nous remercions Ubisoft qui a pu organiser cette rencontre, ainsi que Tommy François et Tetsuya Mizuguchi pour le temps qu'ils nous ont accordé. Ainsi que pour le jeu lui-même, tout simplement !

23 mai 2011 à 10h28

Par SiMouth

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