Test : Half-Life 2 : Episode Two - PC

Half-Life 2 : Episode Two - PC
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Il semble que, jusqu’à aujourd’hui, la bravoure de Gordon Freeman – l’infortuné laborantin de Black Mesa dont la maladresse inexpiable amorça la colonisation de la planète et le déclin de l’humanité toute entière, a été très largement sous évaluée. Voici bientôt dix ans que Gordon court vaillamment après on ne sait trop quelle pénitence, affublé des mêmes binocles rectangulaires et du même affreux jogging orange – peut-être le plus terrible des châtiments. Dix ans que son confesseur, Gabe Newell, s’attache à préparer le terrain de la rédemption, à planifier l’itinéraire de la rémission, à guider cet ami obstiné qui ratiocine peu et ne demande presque rien d’étape en étape, de gîte en gîte, de relais en relais, de chapelle en chapelle. Au titre du présent exploit, n’importe quel homme normal aurait déjà mérité notre plus profonde admiration ; mais Gordon est en sus affligé d’une invalidité qui décuple la valeur de sa pénitence, de son éreintant marathon : Gordon est cul jatte !
Au sein de la foule des affligés qui s’immolent et se flagellent depuis les origines obscures de la chrétienté, Gordon Freeman a une place de choix. Comme le juif allié de Dieu que l’ancien testament a consacré, Gordon-le-pêcheur s’échine à réparer le monde dont son incurie originelle a précipité la chute. Muet, docile, chaste (car Alyx Vance fait décidément partie des richesses et des splendeurs de ce monde dont parle Luc dans son évangile – Voir TOB, page 947), sobre, impotent, il supporte les injures et les injonctions, les coups et les vexations, les avanies et les trahisons sans jamais rechigner. Peu lui importe que les desseins secrets de ceux qui disposent librement de son sort lui échappent. Peu importe que les hautes intentions du grand ordonnancier qui le manipulent refusent de se livrer à lui. Gordon n’est pas homme d’initiative. Gordon n’est pas homme de dialectique. Gordon est homme de servilité et de dévotion. Chaque tâche qui lui est confiée n’a de sens qu’en elle même et rayonne de l’inentamable splendeur de son assignation. Il n’a souci du Tout au sein duquel il se trouve plongé qu’en ceci que ce Tout est source des détails dont se nourrissent ses propres actions. Amorphe, amnésique, comme absorbé par les nécessités irrépressibles de l’inexorable présent, il se laisse porter par le cours tantôt torrentueux tantôt paisible des évènements. Au vrai, Gordon ne demande jamais d’explication à l’Histoire qui l’englobe… Et de fait, il en reçoit peu. Au grand dam du joueur qui est censé l’incarner !

Un soir, un train...

Ce n’est pas une surprise. Valve a l’habitude de pallier à l’indigence consentie de sa série en termes de scénario par une ambiance extraordinaire et une mise en scène parfaitement orchestrée. Les personnages font preuve d’un laconisme navrant et les éléments connexes aux préoccupations directes de l’intrigue sont quasiment inexistants. Telle est la marque de fabrique du développeur. Et faisons d’emblée observer que Half-Life 2 : Episode Two ne trahira cet usage pas plus qu’il ne fera honte à l’efficacité bien connue de ses concepteurs : la narration de ce nouvel épisode est réglée comme du papier à musique et l’ambiance qui s’en dégage fait honneur à celles des volets qui l’ont précédé. Après l’accident de train qui concluait le chapitre précédent, un vortex s’est créé au dessus des ruines de la Citadelle et des flots de monstres ont commencé à se répandre parmi les décombres fumants de City 17. Fidèle à ses engagements de marathonien pénitent, Gordon devra donc une nouvelle fois courir à travers champs (les combes et les alpages remplaçant avantageusement les dédales urbains et les collecteurs d’égouts des épisodes antérieurs) pour rallier une base lointaine, la base de White Forest, répondant de ci de là aux exigences armées de son interminable rédemption…

Que la montagne est belle...

Le gameplay repose toujours sur ce même mélange d’héroïsme spectaculaire et de feinte précipitation, un mélange sur lequel s’est construit le succès de la série. On retrouve non sans plaisir ce même enchaînement d’angoissantes pérégrinations en milieu hostile et d’agitation frénétique à l’orée d’une clairière ou au détour d’une ferme abandonnée. Entre deux embuscades superbement scriptées, Gordon explore et exploite le sûr filon d’une aventure sans détour, vrai faux-semblant d’une liberté dont le gigantisme de certains environnements donne l’illusion mais que borne de subtils mais indépassables jalons. Gordon Freeman a l’habitude d’avancer sur des rails (les falaises d’un défilé au fond duquel serpente la route, un réseau de galeries troglodytes, le muret en pierre dont se ceint le cœur d’un hameau). Il est heureux que Valve soit passé maître dans l’art de placer sa bride avec discrétion. Le trajet n’est pas déplaisant lorsque la cicérone est inspirée. Et effectivement, au gré des dix heures que vous réserve cette randonnée sur les sentiers sévèrement balisés d’Episode 2, les moments de bravoure ne manqueront pas de variété : une savoureuse réédition du Fort Alamo de Wayne dans le périmètre exigu d’un marteleur au fond d’une gorge, une course effrénée sous une pluie de mines entre les convois immobiles d’une gare de triage, un affrontement homérique contre une armée de Stryders aux abords d’une ancienne scierie, un guet-apens dans les bâtiments d’une station radio désaffectée, un exercice d’infiltration dans un cimetière de voitures sous haute surveillance et même quelques cascades en Chevrolet Impala (que les puristes n’hésitent pas à corriger une éventuelle erreur d’approximation – la chignole n’étant pas notre spécialité)…

Théorie Nietschéenne de l'Eternel Retour

Une nouvelle fois le Gravity Gun servira de couteau suisse à l’astucieux héro (scientifique de formation - courtois pour l'amour) et permettra au moteur physique Havok de justifier sa présence au travers d’énigmes divertissantes quoique assez rudimentaires. Une nouvelle fois, dans la furie des escarmouches, on entendra le joueur malhabile pester contre un système de sélection d’arme totalement aberrant. Une nouvelle fois l’algèbre compensera l’intelligence arti[super]ficielle des créatures ennemies et seule la parcimonie avec laquelle sont distribuées les ressources (munitions et médikits) confèrera une dimension vaguement stratégique aux incessants combats. A nouveau, le pied de biche ramassé jadis dans les couloirs effondrés de Black Mesa se chargera de pulvériser à la chaîne caisses pleines et crânes vides. C’est que dans sa conception de la rédemption, monsieur Freeman s’apparente davantage à Harry Callahan (le sympathique inspecteur californien) qu’à Angelus Silésius (gnostique chrétien du XVIème siècle). Une bible et un fusil, comme dirait Stuart Millar. Les détracteurs de la franchise feront [inutilement] remarquer que le terrain est connu, la mécanique copieusement huilée (pas de nouvelles armes, peu de nouveaux ennemis, pas de gadgets inédits), l’efficacité acquise au prix de l’originalité. Tant pis diront-ils dédaigneusement. Tant mieux rétorqueront les autres.

Hieronymus Bosch : Peintre de l'Apocalypse

Comme dans les trois itérations précédentes de la franchise, le soin apporté à la modélisation de l’univers participe grandement à la création d’une ambiance oppressante. La nécessité de revitaliser une série aujourd’hui vieille de près de huit ans pouvait nous faire craindre une regrettable surenchère d’effets grandiloquents. Il n’en est rien. Les designers de Valve continuent d’opposer au sensationnalisme tapageur de certains titres concurrents un environnement graphique homogène et réaliste, propre à provoquer une délicieuse impression d’asphyxie. La sensation de malaise qui s’en dégage tient essentiellement au télescopage permanent de l’inattendu et du familier, à l’intrusion d’un élément hétérogène au sein d’un environnement domestique. A la pression d’une menace incessante répond l’angoisse d’une hostilité diffuse et polymorphe, noyée dans la banalité contrariée d’un univers qui est – aussi – le nôtre. A l’extériorité du péril extra-terrestre répond l’oppression humanoïde des gens du cartel dont les desseins restent insaisissables. L’orientation graphique du jeu rend palpable la dimension « orwellienne » de cette incarcération à l’intérieur d’un monde où il n’est guère possible d’espérer davantage que survivre : une luminosité crépusculaire qu’agriffent les branchages dénudés d’un hiver post-apocalyptique ; la brume bleutée des soirées de décembre, lorsque l’année, comme le monde, touche à sa fin ; partout, les bris chancelants d’une civilisation dévastée… Si le Source Engine qui rend vie à tout cela ne peut plus concurrencer les moteurs de rendu actuels, par le truchement d’habiles astuces et de petites rustines (un game-design mystifiant, des éclairages dynamiques disséminés par-ci par-là) il n’en fait pas moins justice au travail des artistes à qui il a été confié. Et pour un coût somme toute modeste : un Pentium IV à 2,5Ghz couplé à une carte graphique de type X800XL suffit largement à ses appétits.

Mais le mieux est souvent l’ennemi du bien ...

Comme le dit si justement l’adage... La réussite esthétique du titre et son atmosphère inimitable portent le développeur à s’en satisfaire. On espérait, avec ce second épisode, que la mystérieuse pelote d’Half Life commencerait à se relâcher, que les fils emmêlés de l’intrigue commenceraient à se séparer. Mais une fois encore, l’humanité doit se contenter d’un rôle subalterne et – pour tout dire – essentiellement post-mortem. Au lieu de conférer une épaisseur historique virtuelle aux lieux qu’il nous oblige à traverser (par l’entremise de témoignages vivants ou de documents abandonnées – d’autres titres, tel que Bioshock ont [re]montré la voie), Valve se borne encore et toujours à poser son décor comme les moujiks du XVIIIème siècle construisaient les villes fantômes dont raffolait Potemkine. Nulle trace d’antériorité ne gît derrière les façades de carton pâte ! Sous l’ombre déchiquetée des toitures d’un hangar à moitié éboulé s’accumulent des cadavres anonymes ! La revendication n’est pas neuve : on aurait aimé en savoir davantage sur les batailles sporadiques et désespérées que livrèrent les humains contre leurs envahisseurs (sic) au moment de l’invasion. Non pas à toute fin de satisfaire notre perversité, mais pour aider la narration à s’inscrire au sein d’une tragédie aux dimensions de l’humanité ; une tragédie humanisée, donc, laquelle, en retour, aurait donné aux baguenaudes adventices de l’ami Gordon la profondeur et la densité d’une Histoire authentique. C’est le tour de passe-passe favori du mystère que de dissimiler l’absence totale de mystère. Et la confusion que Gabe Newell oppose obstinément à notre curiosité depuis maintenant huit ans n’est pas synonyme de richesse. Les bredouillements sibyllins d’un pantin pathétique (l’homme à l’attaché-case) qui vous interpelle au travers de petits intermèdes oniriques peinent à rejouer la partition usée des farces conjuratoires. Et on a trop souvent couru d’exploit en exploit sans jamais recevoir l’appoint d’une totalité narrative crédible pour ne pas finir par se demander si Gabe Newell a vraiment écrit un scénario à sa série…
En lieu et place des innovations que nous étions en droit d’attendre après un développement si long, nous voilà confrontés à un ultime facsimilé des principes de jeu qu’Half Life et ses suites n’ont cessé de perfectionner. Comme ces principes ont fait leur preuve - le classicisme a ses avantages - le titre s’en tire plus qu’honorablement. Inutile de bouder le plaisir que l’on prend à rejoindre la base de White Forest en compagnie d’Alyx Vance et à se défaire d’une bande de chasseurs en maraude. Inutile de demander aux gens de Valve qu’ils ne réforment leur série. Episode 2 n’a visiblement pas l’ambition de dépasser le cadre normatif du FPS. L’ambiance est certes remarquable, la jouabilité [presque] impeccable, les sensations lors de certaines confrontations particulièrement mouvementées absolument époustouflantes et la mise en scène s’avère bien plus aboutie, bien plus équilibrée que celle - laborieuse - de l’Episode 1 ; mais l’inscription du joueur au sein de l’univers et de l’aventure reste malgré tout superficielle et - osons le terme - archétypale. A l’évidence, les convertis s’en délecteront. Quant aux autres, ce n’est assurément pas cet Episode là qui les détournera durablement de Bioshock et de Stalker…
24 octobre 2007 à 08h47

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Points positifs

  • Une trame narrative profuse et ponctuée d'affrontements épiques.
  • Une atmosphère toujours aussi oppressante.
  • Variété des environnements et des situations.
  • Le très bon rapport Performances/Exigences du Source Engine.
  • La plastique stimulatrice d'Alyx Vance.
  • La montagne, après tout, pourquoi pas ?

Points négatifs

  • Encore beaucoup de vide derrière les décors.
  • Manque d'ambition : aucun ajout majeur, aucune innovation.
  • Indigence inacceptable du scénario.
  • Le père d'Alyx Vance !
  • Et puis pourquoi une combinaison orange ?
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