La première chose à dire, c’est que le jeu
Alice : Retour au Pays de la Folie est une suite. Celle d’un jeu sorti discrètement en 2000 (mais plutôt apprécié grâce à son atmosphère) :
American McGee’s Alice. Cet épisode est d’ailleurs disponible en téléchargement gratuit avec des graphismes actualisés si vous achetez le jeu neuf, via ce fameux code si controversé indispensable pour bénéficier des fonctionnalités online du jeu. C’est bien la première fois que ce système restrictif sert le joueur de cette manière… Le jeu n’ayant pas d’autre fonctionnalité online, hormis un petit DLC payant pour acheter de nouvelles robes à l’héroïne, on peut considérer ça comme un bonus. Le premier jeu, ainsi que celui-ci, proposent une suite aux aventures de la jeune fille, ils ne reprennent donc pas la trame des livres, bien que conservant les mêmes lieux et personnages, avec quelques ajouts mineurs.
De l'autre côté du miroir brisé
Comme pour le premier
Alice, l’atmosphère est le gros point fort du jeu. Le parti pris par
Spicy Horse, le studio de développement qui a pris la relève, est celui d’une jeune orpheline s’étant inventé un monde très élaboré suite à un traumatisme de grande envergure. La fillette suit une psychanalyse cherchant à lui faire reprendre contact avec la réalité tout en lui faisant oublier le drame en question. Le voyage d’Alice au Pays des Merveilles est donc une aventure intérieure, faite de délires psychotiques et de resurgissements de peurs enfouies, transformant cet univers en Pays de la Folie. Dans ces lieux sont dispersés des souvenirs, des bribes de mémoire provenant du monde réel grâce auxquels on en apprend un peu plus sur cette héroïne tourmentée dont le style hésite entre Lolita et suicide girl, ainsi que sur les personnages qui l’entourent et qui ne sont pas forcément plus rassurants que le reste. Les révélations se font au compte-goutte, si bien que la mise en situation n’est pas toujours assez claire pour que l’on s’investisse tout à fait dans le scénario. On a du mal, par exemple, à identifier un but précis au jeu lorsqu’on se lance dans l’aventure, de même que les personnages sont à peine survolés dans un premier temps. La curiosité semble être le moteur principal de notre progression : quelles surprises nous réserve encore cette dimension parallèle ? La curiosité étant le trait de caractère principal d’Alice, dans l’œuvre originale, ce choix peut se justifier mais la narration y perd par moments.
"Tu ne manqueras pas d'arriver quelque part, si tu marches assez longtemps."
Ce manque de précision quant à l’histoire, son but et ses protagonistes n’est pas le seul défaut. Le gameplay est quelque chose de vu et revu sur le marché : de la plate-forme, avec un système de combat au corps-à-corps et à distance. Le corps-à-corps emploie un système de combo basique (appuyer de façon répétée sur le même bouton pour donner des coups de couteau de cuisine) à coupler à un bouton d’esquive, et en guise de mitraillette un moulin à poivre viendra à bout de certains ennemis. Un mécanisme sans réelle innovation (excepté l’habillage), qui s’étoffe un peu lorsqu’on récupère d’autres armes et qu’on réagit différemment selon l’ennemi. Hors combat, la progression est surtout un enchaînement de fossés à franchir et de collines à grimper, le chemin étant parsemé de quelques passages secrets dans lesquels sont cachés des souvenirs d’Alice. À mesure que l’on progresse, la monotonie que l’on pouvait craindre au premier abord est brisée par des énigmes toujours un peu plus complexes, mais rarement insurmontables.
Merveilles quand même !
Ce voyage, juste assez peu répétitif pour ne pas être énervant, est heureusement servi par des graphismes exemplaires. Les décors fourmillent de détails facilitant l’immersion du joueur dans cet univers, malgré la relative absence de personnages ou d’animaux neutres qui aideraient à rendre le tout plus vivant, comme c’est le cas dans les courtes et rares phases de monde réel (une impression heureusement démentie à quelques endroits) et les proportions données à certains éléments le rendent hostile et fascinant à la fois. Il y a un mélange de merveilleux et de lugubre qui traduit bien l’ambiguïté que l’on connaît à l’œuvre de Lewis Carroll et qui peut manquer dans certaines adaptations trop enfantines. Le bestiaire est à l’image du jeu : rien de palpitant au début, mais il s’améliore par la suite avec des ennemis mieux intégrés à l’univers, par exemple les théières folles munies de pattes d’araignées dans le monde du Chapelier Fou. Côté monde réel, lors de courts intermèdes entre chaque chapitre, les humains affichent un caractère tout aussi monstrueux, en accord avec la ville de Londres sombre et délabrée dont on parcourt vaguement quelques rues (et dans laquelle on aimerait se promener plus longtemps !). Clochards, ivrognes et individus louches lancent des remarques graveleuses à la pauvrette (malheureusement en français, la seule langue disponible), dont la personnalité reste trop mal définie, comme dit précédemment, oscillant entre naïveté totale et attitude plus adulte.