Derrière l’apparent anonymat du studio
Kaos se cache en fait la bande de programmeurs ayant réalisé, il y a maintenant quelques années de cela, l’excellent
Desert Combat, un des mods les plus convaincants de
BattleField 1942. La qualité du travail réalisé sur ce projet préliminaire a rapidement attiré l’attention du développeur du jeu,
DICE, lequel, en 2005, a décidé d’incorporer ces jeunes gens talentueux à ses propres équipes, alors en train de préparer le terrain du futur
BattleField 2. La rupture entre
DICE et l’équipe initialement responsable de
Desert Combat sera toutefois consommée lorsque le développeur décidera de concevoir une version futuriste de sa série
BattleField, l’édition estampillée
2142 et sortie fin 2006, incompatible avec les prédilections modernes ou post-modernes des nouveaux membres du studio. Les sécessionnistes s’en iront alors fonder
Kaos Studio et mettront en chantier la suite
spirituelle [la formule, quoique consacrée, n’en est pas moins douteuse] des deux
BattleField originaux ; le jeu qui, selon eux, aurait dû constituer le pinacle de la série et que nous connaissons désormais sous le titre de
Frontlines : Fuel of War.
Où Jean Marc Jancovici soupire…
Première observation, un rien déroutante si l’on considère l’orientation résolument multijoueur du titre, ce dernier proposera aux timorés et aux asociaux une campagne Solo relativement longue, qui aura le bonheur de prendre appui sur un véritable scénario, se déployant sur 8 cartes dédiées, pour une dizaine d’heures de jeu. Que les développeurs des shooters concurrents qui tentent encore maladroitement d’inscrire leurs travaux multijoueur dans d’improbables intrigues, souvent risibles et toujours passablement structurées, méditent cette sage décision. Le scénario, parlons-en. Filant l’actualité comme le poète file les métaphores, les développeurs ont décidé de placer leur jeu dans un contexte géopolitique dont le présent esquisse malheureusement la trame et où les deux blocs jadis antithétiques, l’Ouest et l’Est, se sont reformés afin de s’accaparer les dernières ressources fossiles de la planète. Rappelons que
Kaos est un studio d’origine américaine, un pays où les considérations écologiques ont, à peu de chose près, la place qu’occupe chez nous le cinéma de Maurice Lemaître ou la poésie lettriste d’Isidore Isou. Ce n’est donc pas le géocide annoncé et les catastrophes naturelles qui devraient en découler, qui, dans le futur ébauché par
Kaos, préoccupent l’humanité, mais, au contraire, tous ce qui est plutôt enclin à précipiter ledit géocide, à savoir le prix du baril et l’approvisionnement régulier des pompes à essence. Inutile de dire que le climatologue décrirait l’alternative géopolitique proposée par le développeur comme tout à la fois la plus improbable et la plus optimiste. René Girard ajouterait que le scénario de
Kaos manque singulièrement d’Apocalypse. Et Jean Marc Jancovici, prophète et polytechnicien, n’a pas fini de soupirer… Cette réserve étant formulée, avouons que la cinématique d’introduction, pour être magistralement réalisée, parvient à faire passer l’improbable et le redondant [le Moyen-Orient fait florès au royaume des shooters] pour original et vraisemblable. Constituée à partir d’un montage de dessins particulièrement convaincants, elle rappelle le générique du formidable film de Fleischer, réalisé en 1973,
Soylent Green ; une cooptation de choix ! Il nous faut également nous intéresser à la conduite de la narration. Le joueur, au lieu d’incarner un personnage particulier, se logera tour à tour - c'est-à-dire au gré des pertes subies pas son camp - dans n’importe quel combattant. Dans
Frontlines, la pluralité de l’armée se substitue à la carcérale circonscription de l’avatar classique et vous ne serez pas embastillé dans la peau d’un fantassin invincible, capable à lui seul de défaire toute l’armée ennemie. Une fois votre bipède réduit à un docile gisant [une balle qui traverse les lombes frontaux constitue un argument assurément tranquillisant], vous réapparaîtrez sur le terrain à proximité de la dernière position capturée, sous la cuirasse d’un autre soldat dont vous aurez préalablement défini les prédilections combattives. La continuité de la narration sera toutefois assurée par un héros subalterne, journaliste de son état, qui ne se mêlera pas directement aux affrontements, mais qui, tel mister Nolte dans
Under Fire ! [ce jour, Gamehope fête le cinéma], suivra les troupes sur le champ de bataille armé d’un inoffensif [attention boutade !] appareil photo. Cette option surprenante permettra au joueur d’endosser un à un tous les rôles proposés par le titre, sans se sentir tenu par une inflexible affiliation originelle, sans percevoir l’érosion du réalisme sous l’invraisemblable pouvoir offensif de son personnage, tout en gardant en permanence un œil [l’œil du journaliste] sur la progression de l’intrigue. De quoi se familiariser tranquillement avec toutes les spécificités du titre [et notamment le maniement des véhicules et des drones] sans que l’immersion en pâtisse.
Super Trooper, beams are gonne blind me !
Héritage de
BattleField oblige, plusieurs classes de personnages et plusieurs niveaux de spécialisation se chargeront de renouveler l’expérience de jeu ou de répondre à vos goûts si singuliers. Six
classes-archi-classiques, Assault, Heavy Assault, Sniper, Anti-Vehicle, Special Ops et Close Combat [pas de médecin, puisqu’il suffit au fantassin de se tenir bien sagement à l’abri des balles et des bombes pendant quelques temps pour récupérer l’intégralité de sa vie – une forfaiture, hélas, de plus en plus fréquente], déclinées au gré de quatre spécialités, Support Terrestre, Techniques de Contre-mesure, Drônes, Support Aérien, comprenant chacune trois niveaux d’expertise, donnant accès à autant d’options offensives ou défensives, viennent s’assembler pour former un total de 24 types de combattants
vraiment différents ! Vous spécialiser dans le support terrestre vous autorisera par exemple à déployer des mitrailleuses lourdes, idéales pour la défense de certains points cruciaux ; au niveau d’expertise le plus élevé, les armes que vous aurez ainsi installées se chargeront d’éradiquer automatiquement tout ennemi pénétrant dans leur périmètre de détection. Un spécialiste en contre-mesure pourra, quant à lui, placer de discrètes [et pernicieuses] balises électromagnétiques, dont la fonction est de rendre inopérants tous les véhicules alentours ; idéal pour s’affranchir des problèmes liés à l’immixtion, toujours embarrassante, de infanterie mécanisée. Même si la version PC du jeu sur laquelle nous avons pu en découdre coïncidait avec la béta mise en ligne il y a quelques temps sur FilePlanet et souffrait donc de nombreux défauts [moteur graphique asthmatique, chargement des textures passablement progressif – marque de fabrique de l’
Unreal Engine 3, latence élevée et toujours cette même carte multijoueur articulant de sempiternels combats urbains], nous aurons tout de même pu prendre la température du gameplay proposé par le titre de
Kaos : subtilement technique. Pour peu que vous preniez le temps d’apprendre à collaborer avec vos partenaires et d’appréhender convenablement les avantages et les inconvénients de chaque classe, le jeu finit par vous révéler un catalogue de rôles clairement distincts, tous parfaitement à même de prouver leur utilité sur le terrain ; certaines caractéristiques de l’arsenal mis à votre disposition promettent d’ailleurs quelques réjouissantes « drôleries ». Nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail lors du test. Quant à la carte multijoueur sur laquelle nous avons pu passer quelques heures, celle-ci regorgeait d’échelles, d’escaliers, de monticules, de failles ouvertes dans les murs, de corridors à demi effondrés, de larges avenues toutes prêtes à accueillir jeeps et blindés, autant de solutions tactiques à explorer en fonction des particularités de chaque classe de combattant, afin de conquérir les points stratégiques disséminés ça et là et faire ainsi progresser la ligne de front ; notons d’ailleurs que cette ligne de front, une nouveauté par rapport à la série
BattleField [que le titre du jeu annonçait], améliore très sensiblement la cohésion des combats. Impossible désormais de monter à l’assaut selon les prescriptions anarchiques de votre humeur et de vous en aller batailler pour la conquête de n’importe quel objectif, situé à plusieurs kilomètres derrière les lignes adverses ; désormais, les points à annexer afin de faire avancer le front et ceux à ne pas perdre afin de ne pas voir ce même front reculer, sont clairement identifiés et vous obligeront à coordonner plus finement vos actions. Et bien sûr, les zones que vous contrôlez représentent pour votre équipe autant de lieux de respawn d’où il sera possible d’ourdir le prochain raid ; après avoir été abattu, vous choisissez naturellement votre classe, votre spécialité, mais également l’endroit où vous réapparaissez. Les joueurs qui avait déploré la structure très brouillonne des affrontements de
BattleField y trouveront probablement satisfaction. Surtout qu’un système d’escouade assez similaire a celui introduit par le second épisode du titre de
DICE sera présent et permettra aux membres d’un même groupe de réapparaître au niveau de leur
squad leader. Ceux qui, en revanche, avait investi beaucoup de temps dans la constitution de clan et qui avait appris à organiser les mouvements de leurs troupes au moyen de la puissante interface de commandement conçue pour
BattleField 2, déplorerons très certainement l’absence d’une option similaire. Un mot enfin sur la bande son, incroyablement réaliste, évitant toujours de verser dans le lyrisme pompier ; cette dernière semble vouloir retranscrire très fidèlement l’atmosphère des champs de bataille et devrait donc participer grandement à l’immersion.
Fantassin inexpérimenté cherche stage rémunéré
Si la carte multijoueur que nous avons pu expérimenter semblait particulièrement bien agencée, le constat est un peu différent pour celles du mode Solo, aperçues sur la version Xbox 360. Les efforts déployés pour le développeur pour promouvoir les différents types de gameplay que propose son titre dénaturent un peu la liberté dont le joueur aimerait jouir. La couture perce au travers des doublures. Au niveau des situations, certains stéréotypes se répètent et, même si la multiplication des objectifs [que vous serez susceptible de remplir dans l’ordre que vous souhaitez] s’accorde à l’étendue des affrontements [comme dans
Operation Flashpoint, vous n’êtes après tout qu’un soldat parmi tant d’autres], il n’est jamais bien difficile de percevoir la solution vers laquelle
Kaos aimerait nous voir converger : un drone hélicoptère posé sur une table, un trou opportunément ouvert dans le plafond et un contingent adverse solidement retranché dans le bâtiment d’en face…
Dessine-moi un mouton ! Admettons toutefois que l’action, pour classique qu’elle paraisse de prime abord, ne devrait pas manquer pas de diversité ; combats de chars, soutiens de l’infanterie au moyen d’hélicoptères, quelques séances de snipe [indémodables] sur le toit des casbahs. La lisibilité abusive des cartes n’altère pas nécessairement le plaisir que procurent certains poncifs de l’action. Une action dont l’orientation nous a d’ailleurs semblé bien plus
arcade dans la campagne que dans le mode multi ; mais peut-être cette différence est-elle à mettre au compte du changement de support. Toujours est-il que le mode Solo devrait exhiber, au travers d’un schéma directeur peut-être un peu trop rigide, toutes les formes de gameplay qui seront librement adoptées par le joueur une fois plongé dans le fabuleux chaos des batailles sur Internet. Il faudra attendre le mois de février pour savoir si
Kaos est finalement parvenu à trouver un compromis satisfaisant entre dirigisme narratif et liberté d’action. Quoiqu’il en soit, considérant les difficultés que rencontrent généralement les novices lorsqu’ils entendent se familiariser avec les concepts et la jouabilité de certains FPS multijoueur au milieu de la meute des joueurs expérimentés, on n’en voudra pas au développeur d’avoir pris l’initiative d’élaborer une zone franche en la matière de cette prometteuse campagne Solo.
Drôles de Drones
Si les armes et les véhicules n’annoncent rien d’exceptionnellement novateur, impossible en revanche de pas consacrer un chapitre aux drones, une originalité qui fait visiblement la fierté des concepteurs de
Frontlines. A raison ! Capable d’aller opérer une mission de repérage ou plus radicalement de se glisser sous le ventre d’un char afin de le faire exploser, ils ne constituent assurément pas des gadgets destinés à amuser les geeks mais sont d’une valeur considérable pour ceux qui en maîtrisent l’usage. Croyez sur parole un homme qui fut confronté plusieurs heures durant à des joueurs ayant manifestement passé beaucoup plus de temps que lui sur la version Beta du titre ! Car si certains de ces engins radioguidés [le Tiger Claw, un hélicoptère lance missiles, ou la tourelle mobile AQ432, deux véritables calamités] sont effectivement susceptibles de prendre à revers un ennemi ou de semer la panique dans une escouade de fantassins, leur intérêt ne se révèle pleinement que lorsque les positions et les mouvements de l’ennemi ont été parfaitement identifiés. Si programmer un raid aérien dévastateur [et savoureusement drôle] ne requiert qu’une connaissance rudimentaire de l’adversaire, il en va tout autrement de l’utilisation efficace des drones ! D’abord parce que pendant que vous contrôlez votre petite
Hot Wheels distributrice de condoléances, votre personnage se trouve complètement livré à la merci [sans merci] des autres assaillants. Ensuite parce que chaque drone, parmi la demi-douzaine de proposée, répond à une vocation particulière et que leur déploiement doit ainsi coïncider avec une intention stratégique bien déterminée. Que voulez-vous, la perfidie se veut toujours plus technique que la force. Mais une fois que l’on commence à connaître la carte, une fois que l’on commence à construire des assauts coordonnés en collaboration avec ses coéquipiers, mon dieu, quel plaisir ! On n’aurait certainement pas dédaigné disposer de davantage de temps pour affiner notre jugement… Soudain, février semble bien loin.