Après son départ un peu précipité de chez Konami et son projet P.T. (Silent Hill) avorté, Hideo Kojima s’est retrouvé à devoir tout reconstruire, des idées plein la tête, accompagné par les non moindres Norman Reedus et Guillermo Del Toro comme base solide à son projet. Après quelques centaines de films ingurgités, des seaux de sueur, de larmes et de sang, des nouveaux locaux et une multitude de connexions faites à travers le monde, Death Stranding est né et apporte un vent de fraîcheur plus qu’attendu sur notre beau médium.

Vous allez crapahuter sévère
« Il sert à quoi le bébé dans le bocal, du coup ? »
Sam Porter Bridges, c’est un livreur, un porteur, un déménageur, le genre de type très efficace pour ramener une marchandise d’un point A à un point B sans trop d’égratignures. Ça tombe bien, c’est un peu tout ce qui fait le sel de
Death Stranding. Sans nous étaler, le monde a changé et il est devenu très difficile de se déplacer entre les différentes poches de ce qui reste de l’humanité. Les connexions, aussi bien routières que de communication, ont disparu et
votre but sera de livrer des biens entre différents personnages, tout en les reconnectant au réseau chiral par la même occasion. Ce réseau, c’est une sorte de grande toile connectée permettant aux gens d’interagir entre eux, d’avoir accès à toutes sortes de données vitales, mais aussi d’utiliser les imprimantes 3D afin de pouvoir se confectionner du matériel : en gros, cela leur permet de survivre plus facilement au
Death Stranding qui est juste arrivé, comme ça.

La mort est présente partout
Le Death Stranding, c’est un phénomène d’extinction de la race humaine qui brouille la limite qui existe entre le monde des vivants et celui des morts. À travers différents types de connexions et à différents degrés, certaines personnes auront la possibilité de visiter leur purgatoire, leur « grève », cet espace de transition vers l’au-delà. Résultant de ce brouillard entre les deux mondes, les Échoués, qui sont les âmes perdues de ceux qui étaient autrefois vivants, essayeront de vous happer vers « leur » monde sans vie. Avec le Death Stranding sont apparus tout un tas de phénomènes et notamment l’arrivée de pluies dites « chirales », qui accélèrent le temps et font vieillir les choses qu’elles touchent (et endommagent vos marchandises par la même occasion). Autant vous dire qu’entre les morts et les effets météo pas super accueillants, il sera difficile de parcourir cette nouvelle version des États-Unis qui, pour le coup, n’a jamais été aussi cassée et désunie.

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La progression de
Death Stranding débute donc par des livraisons qu’il faudra assurer, pour une bonne raison, d’est en ouest du pays de l’Oncle Sam. Vous parcourrez donc différents environnements afin de rejoindre certains avant-postes clés de la survie humaine qu’il faudra ravitailler et surtout reconnecter au réseau.
La mécanique de base du jeu se basant sur votre capacité à vous déplacer à pied (mais l’usage de motos et de camions est aussi possible), votre souci principal sera donc de trouver les passages les moins risqués et les moins difficiles topographiquement histoire de ménager Sam et d’arriver à bon port en un seul morceau. Dans
Death Stranding, c’est le scénario qui est au service du level design et pas l’inverse. Les niveaux, cassés, sont donc extrêmement rugueux et difficiles à pratiquer : entre les pluies chirales et l’absence de civilisation, les paysages se sont lentement déformés pour ne devenir qu’un spectacle de ruines et d’abandon. Dans ces environnements de mort, presque lunaires, les vieilles pierres refont surface n’importe où, les collines ciselées se dressent et sont traversées par des petits cours d’eau qui n’abritent plus du tout la vie.
Pour vous aider à progresser, vous vous procurerez et devrez gérer de l’équipement de plus en plus confortable au fur et à mesure de votre partie. Ce dernier doit être méthodiquement choisi lors de vos pauses régulières dans chaque lieu équipé d’un terminal connecté au réseau chiral. Entre votre marchandise à livrer, les échelles à déplier, les ancres d’escalade, mais aussi les poches de sang supplémentaires, les grenades et autres chaussures de rechange, il va falloir faire des choix pour ne pas faire crever Sam d’un lumbago carabiné pendant votre périple. Car oui, le bougre a une limite de poids qu'il lui est possible de porter sur le dos : plus les marchandises sont lourdes et encombrantes et plus il sera difficile de garder votre équilibre et de vous déplacer facilement. Pour vous reposer et reprendre tranquillement votre souffle entre deux livraisons, vous pourrez aller dans votre chambre privée où toutes vos jauges se rempliront (sang, endurance, munitions…) et où vous pourrez vous adonner à quelques activités très Kojimiesques que l’on vous laisse le plaisir de découvrir.

Le difficile choix du bon équipement
Les équipements que vous installerez pour faciliter votre progression dans les landes de mort resteront sur place et pourront être « partagés » avec la centaine d’autres joueurs qui squatteront votre serveur. Si le scénario de Death Stranding appelle à la reconnexion entre les individus, le gameplay du jeu incite lui à connecter les joueurs entre eux à travers cette mutualisation des équipements. Pour chaque ruisseau traversé grâce à une échelle d’un autre joueur, une falaise gravie grâce à une ancre bien placée ou un ravin traversé via le pont bâti par plusieurs individus, vous attribuerez automatiquement des « likes » au joueur ayant initié la construction. Si le désir vous prend, vous pourrez donner un surplus de « j’aime » et faire comprendre à votre ami invisible que sa contribution au monde du jeu a bien été perçue et utilisée. Outre le fait de montrer de la reconnaissance envers autrui, cette petite mécanique explique également qu’il est important de se tourner vers des aides extérieures quand le chemin se montre périlleux. Derrière tout ça, difficile de ne pas y voir l’allégorie d’un Hideo Kojima, abandonné par Konami avant de se reconnecter aux personnes capables de lui fournir les outils pour développer son nouveau studio et son nouveau jeu.

L'échelle vous permettra de franchir pas mal d'obstacles
Parmi ces personnes reconnectées se trouvait d’ailleurs
Hermen Hulst, le cofondateur de
Guerrilla, ainsi que
Marc Cerny, le Lead System Architect de la
PlayStation 4. Le premier lui a fourni le code source de
DECIMA, le moteur graphique propre au studio et utilisé sur
Horizon New Dawn ou encore
KillZone, tandis que le deuxième lui a filé un coup de main pour l’utiliser de manière optimale sur la console de
Sony. On ne va pas y aller par quatre chemins :
Death Stranding est un bijou de réalisation. Aussi bien sur le plan esthétique que technique, c’est une claque et un vrai tour de force réalisé par les équipes de
Kojima Productions. De notre côté, nous n’avons pas rencontré un seul bug durant nos 80h de test, ce qui est impressionnant pour un jeu comportant des environnements semi-ouverts de cette taille.

Le moteur DECIMA à l'oeuvre sur les textures
Si une frange de joueurs pourra les trouver vides et un peu austères, on rappellera qu’ils sont là pour servir un scénario racontant une histoire dans monde post-apocalyptique, même si on aurait aimé un peu plus de zones urbaines ou des grands intérieurs à visiter. La profondeur de champ est, pour le coup, incroyable, et on prend un vrai plaisir, du haut d’une montagne, à observer au loin le nombre de talus à contourner et de cours d’eau à franchir jusqu’à notre destination. En plus d’être vraiment beaux et détaillés, ces grands environnements mettent en exergue ce sentiment de vide, de solitude, de mélancolie et de désespoir qui transpire dans la diégèse du jeu. Cet univers que vous pourrez trouver très obscur au début de l’aventure se révélera cohérent grâce aux éléments très diégétiques qui vous accompagnent le long de la partie, vous ancrant un peu plus profondément dans ce monde post-Death Stranding tout en accroissant sa crédibilité. On pensera notamment à tous les équipements portés par Sam, comme ces menottes à partir desquelles est gérée l’interface ou encore ces exosquelettes facilitant votre progression sur les terrains accidentés…
Votez Jacques Chiral
Death Stranding est un jeu à la narration dense, travaillée, farfelue voire très cryptique par moments, mais toujours cohérente et qui ne vous prendra pas de haut. Ce tour de force est possible grâce à un travail titanesque de recherche sur les différents sujets évoqués, mais également sur le nombre presque trop énorme de détails apportés à l’histoire et, de manière plus générale, à la diégèse du jeu. Cette dernière mêle habilement faits historiques réels et les événements fantastiques se déroulant dans le monde de
Death Stranding, rendant le tout très palpable et presque naturel. Cela passe par les fameuses cut-scenes très longues dont
Kojima a le secret, en passant par un codex bien fourni expliquant en détail l’arrivée du
Death Stranding ainsi que tous les éléments gravitant autour du phénomène. Vous rencontrerez également un petit nombre de PNJ, qu’ils soient chercheurs, porteurs, artistes ou scientifiques, qui vous expliqueront leur histoire et la manière dont ils ont vécu ce prélude d’extinction. Il serait présomptueux d’essayer de vous expliquer la profondeur de l’histoire du jeu en quelques mots. Sachez seulement qu’elle pourra en désarçonner plus d’un et qu’il faudra vous y investir pleinement afin d’en saisir toutes les subtilités.

Un bébé brise-brouillard
L’histoire, justement, est portée par les épaules sacrément solides de la petite troupe d’acteurs dont s’est entouré
Kojima. On pourra citer
Mads Mikkelsen, Norman Reedus, Léa Seydoux ou encore les apparitions spéciales des réalisateurs
Guillermo Del Toro et
Nicolas Winding Refn, rien que ça. Mention spéciale à
Troy Baker (Joël dans
The Last of Us), qui campe le personnage malfaisant de Higgs, un ancien porteur devenu fou et pouvant invoquer à sa guise Échoués et autres créatures de l’au-delà : son acting pue la classe, faisant de son personnage l'un des plus charismatiques du jeu.
Bien évidemment, tous les autres acteurs ne sont pas en reste et la prestation globale affichée sur Death Stranding n’a pas à rougir face à certains pontes du septième art. Notons que la quasi-totalité des personnages bénéficie d’un background plutôt bien expliqué dans le jeu, à l’exception de Sam, le héros, sur lequel on ne sait finalement pas grand-chose. C’est un peu l’antithèse d’un
Solid Snake, voire d’un
The Boss, sur lesquels l’histoire d’un
Metal Gear Solid s’articulait pleinement. Ici, Sam fait presque figure d’anti-héros, pas spécialement beau ni spécialement invincible au combat ou charismatique… Il n’aime même pas être touché par ses semblables. Non, ce qui caractérise Sam, c’est sa capacité à livrer les marchandises les plus difficiles à obtenir et on peut dire que, pour ça, il est foutrement bon.

Le personnage de Higgs, campé par Troy Baker
Cette immersion dans la diégèse est aussi renforcée par une utilisation fine de musiques apportant son lot d’émotions en jeu. Choisies méticuleusement par
Kojima-san himself (il est « aussi » Music Producer sur le jeu), les pistes se succèdent et sont bombardées durant certaines sections clés du jeu, comme lorsque l’on voit au loin notre prochaine destination tout en descendant une colline raide, ou lorsque Sam est esseulé, dans la montagne, luttant pour terminer sa prochaine livraison. Alors que
Kojima utilisait déjà des procédés un peu similaires dans son
Metal Gear Solid sur PS1, on pensera aussi aux plus récents
Red Dead Redemption I et
II qui mettaient en avant des musiques empreintes d’émotions à des moments précis du scénario (tout le monde se souvient de l’arrivée de John Marston au Mexique).
La mort aux trousses
En opposition à cette sensation de lenteur de la narration et du gameplay, les quelques rencontres avec vos ennemis vous procureront les shots d’adrénaline suffisant pour maintenir votre cerveau éveillé et vos sens alertes.
Les combats dans Death Stranding, il y en a assez peu, du moins si vous êtes un bon livreur. En effet, libre à vous de choisir l’itinéraire à pied le plus sûr et de ne croiser, au pire, que des Échoués, ou alors décidez de foncer au plus rapide et de passer par le territoire des MULEs. Ces derniers sont des anciens porteurs qui ont vrillé petit à petit psychologiquement jusqu’à devenir une sorte d’individus uniquement motivés par l’envie de s’approprier toutes les livraisons qui passeraient non loin de leurs détecteurs. D’autres MULEs, beaucoup plus agressives et présentes plus tard dans le jeu, chercheront spécifiquement à vous tuer pour, seulement ensuite, vous prendre vos marchandises. Ces ennemis couvrent certaines portions de la carte en contrôlant le territoire via des détecteurs plantés dans le sol et qui scannent, au rythme de quelques bips par minute, les éventuels paquets de valeur présents dans la zone. Alors que certaines mécaniques d’infiltrations sont présentes (notamment la possibilité de marcher accroupi dans les herbes hautes), il n’est pas rare de vous faire détecter assez rapidement si vous êtes à pied dans la zone et de voir débouler toutes les MULEs sur votre dos.

Les MULEs en voudront à votre équipement
Sans aller trop dans les détails, il faut savoir que lorsqu’une personne meurt et que son corps n’est pas incinéré, la nécrose de l’individu génère une néantisation, provoquant une grande explosion d’antimatière et laissant sur place un cratère gigantesque : en gros,
le jeu ne vous conseille clairement pas de semer la mort derrière vous. Le but est de vous battre de manière non létale à l’aide de vos poings ou de balles de caoutchouc projetées à grande vitesse. Bien évidemment, s’il vous arrive de commettre un meurtre sans le vouloir et que la dernière sauvegarde est trop éloignée, il vous faudra trimballer le corps sur votre dos jusqu’à l’incinérateur, ce qui ne sera pas une partie de plaisir pour vos pieds. De ce fait, au début de l’aventure, vous devrez gérer les MULEs soit en les attrapant furtivement avec une corde, soit en les tabassant directement. La panoplie de coups n’est pas extrêmement variée, mais vous pourrez par exemple utiliser une marchandise tenue en main pour frapper plus fort et même la jeter sur vos adversaires. Certaines armes, comme le lance-Bolas aperçu dans
la démo du TGS, vous permettront d’incapaciter rapidement les ennemis sans les tuer. L’équipe de
Kojima a également pris soin de doter les ennemis d’une intelligence mesurée, mais assez cohérente : ils n’hésiteront pas à vous foncer dessus comme des forcenés pour attraper vos marchandises, mais prendront le temps d’appeler des renforts et de vous contourner dès que possible.

Sam et son Odradek
Outre les zones de MULEs que vous devrez traverser,
il faudra également compter sur les Échoués pour vous donner du fil à retordre durant vos livraisons. Ces « fantômes » représentent les individus coincés entre la vie et la mort qui chercheront à vous sortir du monde des vivants s’ils vous sentent déambuler un peu trop à proximité de leur carcasse vaporeuse. Il faut savoir que Sam est l'un des rares à posséder le DOOMS, une affliction qui, selon le degré de contamination, permet de ressentir ces Échoués, voire même de les voir. Lui peut donc sentir leur présence et pourra même
détecter leur placement avec plus de précision en utilisant son Odradek ainsi qu’un bébé brise-brouillard, celui que vous avez longuement pu observer durant les trailers du jeu. Encore une fois, histoire de vous préserver de tout spoiler, on peut dire que ces Échoués craignent les substances issues du corps de Sam qui pourra donc les faire fuir en utilisant son eau de douche, son pipi, son caca (lol), et surtout son sang. Si vous vous faites détecter et que vous n’arrivez pas à fuir assez rapidement, les Échoués vous ralentiront jusqu’à vous entraîner dans les abysses. Le combat dans
Death Stranding se résume donc à entraver les MULEs d’une part et de vous frayer un chemin tout en évitant les Échoués d’autre part. Bien évidemment, les armes à feu auront une place prépondérante dans le jeu, mais devront être utilisées à bon escient. Encore une fois, nous nous garderons de vous révéler les moments de leur mise en application. Enfin, des combats de boss ponctueront évidemment l’aventure, même s’ils ne sont pas spécialement intéressants : sur ce point,
Death Stranding aurait mérité quelques personnages « méchants » supplémentaires, histoire d’avoir un déroulé de l’aventure encore plus équilibré qu’il ne l'est déjà.

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