Dès son concept, le jeu semble adapté à l’appareil pour lequel il est conçu. Vous êtes dans la peau d’un marionnettiste, et vous contrôlez un pantin à l’aide de votre main gauche. Le personnage avançant tout seul, comme sur un rail, il vous appartient d’éviter les obstacles en le déplaçant sur les côtés, ou en le faisant sauter par dessus. De votre main droite, vous visez vos cibles (jusqu’à six à la fois, puisque les cow-boys utilisaient des six-coups), puis vous levez la main pour tirer, à la manière de ce que proposait
Child of Eden. Le tout étant d’arriver à faire les deux à la fois, alors que votre héros court comme un fou furieux. Avide de vengeance, ce cow-boy mort-vivant bleu, sorti de terre pour traquer les traîtres qui l’y ont mis, a décidé de semer la terreur dans tout l’ouest des Etats-Unis. Jusqu’à ce qu’il punisse ses anciens compagnons, aujourd’hui sheriff corrompu, homme d'affaires véreux ou vieille maquerelle, il ne trouvera pas le repos. Ces figures classiques du western, qui tiennent lieu de boss, sont malheureusement souvent identiques dans la façon de les affronter. Heureusement le jeu réserve bien des surprises le reste du temps pour éviter l’ennui.
De vieux jeux ramenés des morts
La progression est entrecoupée de scènes où le héros se met à couvert et fait face à des groupes d’ennemis plus conséquents, dans lesquelles on a parfois droit à un fusil ou un lance-flamme pour faire un carnage. Il y a aussi quelques actions contextuelles (pas toujours efficaces) dans lesquelles vous donnez des coups de poing, ou d’autres scènes en hommage à des jeux classiques : vous sautez par-dessus des tonneaux sur un échafaudage façon
Mario vs Donkey Kong, ou vous affrontez des vagues de canards tout droit sortis de
Duck Hunt. De cette manière, le rythme et l’action sont toujours présents, on ne souffre presque d’aucun temps mort. On alterne aussi les vues de profil, de dos, ou de face lors de passages bien corsés où l’évitement d’obstacle devient central.
The Gunstringer emprunte beaucoup à d’autres jeux, notamment sur des générations plus anciennes, mais il le fait intelligemment, sans se reposer dessus. On révise nos classiques avec beaucoup de plaisir.
Guignol contre les Dalton
Mais nous n’avons toujours pas abordé véritable point fort du jeu : la narration. Vous gardez en permanence à l’esprit que ce que vous êtes en train de faire, c’est un spectacle de marionnettes. Un narrateur commente chacune de vos actions, de vos échecs (en faisant croire que vous l’avez fait exprès), ou de vos réussites remarquables, de manière épique. Le public qui assiste à la représentation, visible de temps en temps, vous hue ou vous applaudit selon vos performances. Il y a même quelques plans sur eux lors des cinématiques pour voir leurs réactions (parfois à la limite du ridicule) à l’histoire que vous leur contez. De sorte qu’au lieu de vous prendre pour un cow-boy déterré assoiffé de vengeance, vous gardez assez de distance par rapport à l’intrigue et à la réalisation pour en rire et vous attarder sur la réalisation. Il y a un côté bricolé totalement assumé. Cet aspect se retrouve dans les graphismes, toujours dans un entre-deux entre la scène de marionnettes et le Far West modélisé à plus grande échelle. Le tronc des arbres est en rouleaux d’essuie-tout, les vaches sont en canettes, la plupart des décors sont en carton peint, et on s’amuse de voir quelles astuces les développeurs ont trouvé pour fabriquer tel ou tel élément. On est vite capté par cette ambiance, et cette idée de mise en scène permet un certain nombre d’autres choses farfelues, comme des mains humaines déplaçant ou détruisant le décor, à la façon d’un dieu agissant sur sa création.
Le héros : un archétype revisité
Si la réalisation générale est déjà remarquable, on peut s’attarder encore plus sur le seul personnage principal, et pourquoi il est aussi charismatique. Le héros est un squelette qui prend vie, dans un décor désertique. La figure du squelette comme pantin est très ancienne (peut-être même date-t-elle de l’époque où l’on a commencé à s’imaginer les morts revenir à la vie ?) et a été déclinée sous de nombreuses formes. Quelques exemples modernes sont visibles dans
La Danse Macabre (court-métrage de Disney, 1929) où les squelettes se meuvent parfois comme des pantins, le clip
Thriller de Michaël Jackson dans lequel des zombies s’élèvent lentement, comme tirés par des ficelles, ou la fin de
Terminator, lorsque le squelette métallique du robot ressurgit des décombres. La démarche désarticulée, rigide et saccadée de la figure traditionnelle du mort-vivant semble d’ailleurs dérivée du mouvement d’une marionnette mal contrôlée, comme si le semblant de vie insufflé dans ce corps n’était pas suffisant pour lui permettre de se déplacer correctement. Mais le héros de
The Gunstringer évoque surtout, à cause du lieu, de la couleur bleue de son squelette et de ses ornements, le fameux Jour des Morts célébré au Mexique et dans le sud-ouest des Etats-Unis. Un côté festif qui trouve son écho dans les réactions du public et la mise en évidence de l’artifice. En résulte ici une ambiance festive mais macabre à la fois, cet aspect étant soutenu par la croix de pantin flottant en permanence au-dessus du personnage qui rappelle fortement un crucifix.