Test : Lost Odyssey - Xbox 360

Lost Odyssey - Xbox 360
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A l'heure où la démocratisation du jeu vidéo entraîne un accommodement – logique, mais controversé – de sa presse critique, moi, jeune racaille des cités, ose remettre en cause dans cet article l'intégralité des fondements de mes "confrères" en matière de "jugement" d'un soft. Et Lost Odyssey ne pouvait pas mieux tomber, tant le soft de Mistwalker cristallise depuis peu d'incessantes critiques qui peinent à convaincre. La question devient alors plus générale : qu'est-ce qu'on peut bien avoir à branler qu'un jeu soit laid (dépassé, classique, au temps de chargement incessants…) si en son cœur, il parvient à vous faire ressentir la vision de son auteur, s'il parvient à bouleverser intérieurement ? N'est-ce pas là la véritable essence d'un jeu, aux antipodes du mouvement actuel prônant les artifices graphiques et techniques ?
"Killer-app", "blockbusteresque", "buzz", tous – j'entends par là dans leurs tests – n'ont que les mêmes mots à la bouche en introduction, se délaissant volontairement d'une approche qualitative, sensorielle, personnelle, voire poétique, du jeu pour sombrer vers un aspect commercial qui trahit explicitement leur conception du rôle du soft… Juger un jeu n'équivaut plus à y chercher et relater des éléments amenant le plaisir chez joueur, non, tout est désormais voué au côté pécuniaire de l'industrie, en gros, chercher à savoir si le produit peut se vendre... Ou pas. Oubliez donc jusqu'à présent tout ce que vous aviez pu lire sur Lost Odyssey, la plupart n'est que pure bêtise (mention spéciale à l'article de Jeuxvideo.com, plus savoureux encore qu'un Devos)… Si je ne prône pourtant pas la vérité universelle, j'ose(rais) au moins apporter une critique approfondie, fruit d'une sincère volonté de compréhension des enjeux proposés dans un tel soft, et non une liste se voulant exhaustive de toutes les imperfections techniques d'un titre, ce dont (ironiquement, pourtant), tout le monde se fout.

Think

"Le regard perdu dans une brume épaisse, Kaïm se relève difficilement, la vue des milliers de morts autour de lui ne l'effraie pas, il demeure apathique… Plus tôt, une mystérieuse météorite avait choisi ce champ de bataille comme fatale destination finale, enlevant la vie à toute parcelle d'existence située aux alentours. La guerre n'avait plus d'importance, les vies non plus, Kaïm était seul. Rien n'avait changé."

L'espace spatio-temporel de Lost Odyssey, tout comme une immense majorité des RPG, se veut flou au possible, seul un leitmotiv perdure : la découverte il y peu par l'humanité de ses propres facultés magiques, engendrant une réadaptation totale de la société, des mœurs et des relations inter-royaumes. L'entrée en vigueur de cette nouvelle puissance maintenant militaire entraînera effectivement d'énormes discordances entre les principaux pays de jeu, sous l'étendard de la manipulation, de réflexions sur le pouvoir monarchique, république et despotique. Le scénario de Lost Odyssey n'est pas terriblement emmêlé, le grand méchant-pas-beau sera vite identifié et Kaïm, jusqu'alors une coquille vide de sentiments, retrouvera peu à peu sa mémoire, découvrant ainsi la source de son immortalité, ainsi que d'autres immortels aux destinées semblables. Et bien que la trame ne propose quasiment aucun retentissement inconcevable, on se surprend à se passionner, sincèrement touché par des scènes bouleversantes, s'identifiant, comprenant, acquiescant les protagonistes, du début à la fin, motivé par l'envie d'accompagner Kaïm vers sa – notre – vérité. Mais si l'atmosphère générale du soft est plutôt triste, sombre, certains personnages se dégagent de la relative apathie de Kaïm, comme Jansen, qui incarnera le "boulay affreusement attachant", soit le symbole de l'ouverture irrésistible du soft vers l'humour. Chacune de ses interventions soutirera le sourire au pire, l'éclat de rire au mieux, sans jamais, pourtant, sombrer dans la bouffonnerie pure. L'humour, très présent dans l'aventure Lost Odyssey, est en grande partie oral, verbal, il se manifeste par des remarques, des réflexions déplacées, qui tranchent totalement dans la perception des mortels et des immortels. Les premiers sont bons-vivants, cocasses, alors que les immortels sont sans cesse plongés en eux, dans les situations qu'ils ont vécus, sans parvenir à parfaitement les identifier… "L'immortalité est le pire des fardeaux pour un Homme", confronté aux perpetuelles morts des personnes aimées, aux souffrances absolues et infinies.

Feel it

Plongé au cœur de l'inconscient de Kaïm, les rêves s'établissent en début d'aventure comme des artifices assez barbants, inutiles… Le fait est qu'en jouant, il suffit d'un rien pour que le protagoniste principal soit pris dans ses pensées à la vue de quelque chose normalement insignifiant. Et des madeleines de Proust, Kaïm en a accumulé en un millénaire d'existence… L'envol des oiseaux, un son de cloche, une remarque banale d'un passant sont autant de déclencheurs de souvenirs, ces derniers retranscrits de façon manuscrite à l'écran, coupant toute activité dans le jeu, comme pour encore plus impliquer le joueur dans le subconscient du héros… Grossièrement, les rêves rappellent les documents Powerpoint si chers aux humoristes en carton : des pages qui se tournent, un fond et parfois de la musique. Ici, et encore une fois, tout dépend de la volonté du joueur face à ses rêves (tirés du roman "Un millénaire de rêves" de Kiyoshi Shigematsu), le plus souvent très émouvants (bien que malheureusement simplifiés dans leur écriture), mais dont le côté littéraire peut malencontreusement éloigner les plus réfractaires à tout ce qui n'est pas gunfights, femmes nues et cascades de voitures. Ces songes n'apportent "rien", ils ne sont que des attentions agréables des auteurs vers leur public, des compléments facultatifs de la vie d'un immortel, une humanisation d'un personnage froid, imperceptible… Une volonté d'affirmer que, quels que soient les âges, les époques, les courants, les thèmes que rencontre l'être humain subsistent implacablement, toujours les mêmes : l'amour et la mort. Deux choses dont un immortel est voué à toujours abandonner, à toujours regretter, à toujours espérer.

Sense it

Un classicisme sincère d'un scénario mène souvent au même classicisme alloué aux combats. Et Lost Odyssey n'a nullement la prétention de révolutionner le genre, les affrontements au tour par tour proposent tout l'armada des sorts habituels, mais le rythme de jeu très lent adjoint à la certaine difficulté des combats requiert une concentration totale de la part du joueur… Chaque ennemi "coriace" devra être éliminé en se fiant à une organisation précise qu'il aura fallu au préalable entièrement monter en fonction des aptitudes des protagonistes participants. Pouvant aller jusqu'au nombre de 5 (comme dans Blue Dragon, donc), ces combattants sont scindés en deux groupes, l'un situé à l'avant, l'autre à l'arrière. De ce fait, l'ensemble des HP des avants s'additionne, formant un "mur" minimisant l'impact des coups portés aux arrières, fait valable autant pour les compagnons de Kaïm que les monstres, qui donc, s'organisent. Cette disposition un peu tactique n'instaure malheureusement que peu d'intenses réflexions, tant on aura vite bouclé l'affaire en disposant les magiciens à l'arrière (ils ont peu d'HP, une défense physique faible et ont besoin de temps pour lancer leurs sorts) et les bourrins en première ligne (HP élevés, puissance et défense physique au top). Mais Lost Odyssey n'est clairement pas un RPG où les joutent sanglantes priment sur le scénario : les combats aléatoires, peu fréquents, s'effacent, laissant place à l'exploration, le minimum syndical est attribué aux équipements (on passera sur les anneaux octroyant des nouveaux pouvoirs, ou la Forge, permettant de créer justement des anneaux à partir d'objets plus ou moins rares), où le soft marque une nouvelle opposition entre immortels et mortels. Pour faire simple, les mortels, en évoluant, apprennent de nouvelles compétences qu'ils sauvegardent indéfiniment ; les immortels n'ont pas cette chance, ils ne peuvent que se "lier" à un mortel pour étudier ses compétences acquises, qui, une fois mémorisées, pourront être utilisées (mais contrairement aux "éphémères", un immortel a un nombre défini de "cases" de compétences et ne peut donc pas tout utiliser en combat).
Source de nombreux débats, le système de Levels, lui, se démarque sèchement de l'aspect classique dans lequel le soft s'était abandonné avec passion. Il consiste à "verrouiller" le niveau du joueur en fonction de celui du prochain Boss qu'il aura à affronter, c'est-à-dire que lors de la progression, il arrivera qu'on ne gagne quasiment plus d'XP lors des combats une fois arrivé à un level précis. Enervant. Si les intentions des développeurs sont claires (éviter le syndrome Gros Bill qui a valu le lynchage de Blue Dragon, et donc augmenter de manière significative la difficulté), les joueurs seront – à raison – lassés et un peu perdus par cette feature qui n'a finalement pas grand intérêt mis à part d'engendrer la frustration. Un exemple étant, lorsque l'on est amené à découvrir la carte du jeu, on s'empresse, tout excité, d'accoster un peu partout, tombant parfois sur des créatures plus que féroces… dont le joueur n'aura aucune chance de venir à bout étant donné que son niveau est bloqué. Il faut néanmoins dire que l'on a toujours ce que l'on mérite dans un RPG, leveller est un fardeau, une tache redondante et ennuyeuse, dont les fruits sont pourtant exquis. S'en priver pour renforcer le challenge des Boss (et par le même coup accroître la durée de vie…) peut alors être perçu comme une sorte de trahison du genre… un affront pour les fans… Gros mauvais point de Lost Odyssey, cette idée, surtout en considérant le fait que les combats, certes classiques, deviennent jouissifs par leur… inconstance. Limiter les bagarres, gonfler leur difficulté, leur durée, sont sans doute les meilleures façons de les intensifier… Dans cette situation, le classicisme des sorts ou des rôles n'a aucune importance, puisqu'une fois sur le champ de bataille, tout est différent…

Jarre

Si les cut-scenes sont légion, outrepassant savoureusement leur rôle purement narratif pour accompagner à merveille, et à chaque occasion, le joueur dans l'étendue de sa quête, on regrettera tout de même leur mise en scène totalement cheap, qui, parfois, gâche l'intensité d'une conversation, d'un souvenir retrouvé ou bien d'une bastonnade improvisée… Le fautif ? L'utilisation abusive du split screen (comme dans 24… :sic:) à quasiment la moindre discussion entre plusieurs personnages… Les bons effets sont imperceptibles, tandis que les mauvais ne tiendraient même pas sur les 4 DVD du jeu. Heureusement, les scènes les plus émouvantes ont été relaxées, tout comme les cinématiques en CG (d'un coup je crois en Dieu). Mais le mal est fait, appuyé par une réalisation en dent de scie impressionnante et décevante à la fois, n'obscurcissant pas pour autant la qualité de l'aventure au sens émotionnel, qui elle, tient indéniablement ses promesses pad en mains, et dans la durée. Comptez, ou plutôt savourez une dizaine d'heures par DVD (l'homme dont la sainte parole prône 8h de jeu pour le premier DVD – repris aveuglement par toute la presse – n'a définitivement pas de vie sociale), ajoutez-y une demi-journée pour les quêtes secondaires, très nombreuses, et vous obtiendrez la durée de vie de Lost Odyssey, très honnête, bien que manquant cruellement d'un facteur accrocheur. Celui poussant le joueur à rester plus de 200 heures sur un RPG, comme les Final Fantasy avaient pu proposer.

Lauste oh dis cay, ssa tuent lol

Techniquement, Lost Odyssey est un échec cuisant, souffrant d'indénombrables temps de chargement, de ralentissements incompréhensibles, de chutes de frame-rate alarmantes pour un soft de la vague Next Gen, tandis qu'il peut, sans vergogne, nous afficher des plans serrés de personnages affreusement modélisés. Pourtant, le divin enfant du créateur des Final Fantasy réussit là où tous, ces dernières années, ont échoué : mettre en avant une patte artistique éclipsant intégralement les déboires techniques dont souffre le soft. Tout ici fonctionne en oppositions, quelques paysages sont vides et bâclés, d'autres travaillés et éblouissants ; certains protagonistes secondaires portent le fardeau d'un character design absolument infâme (le croque-mort, les travailleurs du port de Numara…) tandis qu'un Kaïm impose un charisme trop peu vu dans le genre du RPG… Dans ce genre de situation, il y a souvent deux écoles : certains, qui choisissent de se focaliser sur les défauts d'un titre, et s'enlisent dans un ennui mortuaire, d'autres, qui prennent le temps de savourer les qualités du soft, et s'adonnent au plaisir qu'il procure, c'est aussi simple que cela. Lost Odyssey divise, a divisé et divisera, mais contrairement aux bouses qui étoilent le ciel vidéoludique, le jeu de Sakaguchi mérite au moins que l'on s'y essaye avant d'oser y deverser toute sa haine… à l'instar d'un (et la comparaison est osée) Killer 7. A vrai dire, j'aimerais dire qu'il faut une certaine ouverture d'esprit pour apprécier, ou au moins essayer de comprendre Lost Odyssey, mais la menace du mot "prétentieux" m'en empêche. Bon. Quoique. Allez : j'ose.
Côté son, la touche Uematsu devient vite indélébile, bien que certains thèmes rappellent un peu trop ceux déjà entendus dans divers Final Fantasy. L'ambiance n'en demeure pas moins dans le ton général du soft, à la fois mature, enchanteresse, mais aussi très portée sur l'émotion via les souvenirs émanant de Kaïm. La bande-son est donc de bonne facture, mais loin de l'exceptionnel, avec des compositions manquant parfois de mordant (combats généraux et boss) là où Blue Dragon avait su implanter un style très satisfaisant. Le doublage n'aura quant à lui pas l'occasion d'accueillir quelques louanges, faute d'une finition "à l'arrache" pour quasiment toutes les langues qu'il propose. La version originale japonaise comprise, catastrophique, sur-jouée, tout comme lafFrançaise, aux antipodes d'un Mass Effect et visiblement effectuée par d'habituels doubleurs de dessins animés. L'adaptation des dialogues sous la langue de Beckham s'en tire le mieux, et ce même si Kaïm a la fâcheuse tendance de se prendre pour Governator lors de ses phases les plus sombres. Ah, sinon, dans la version italienne, les personnages parlent avec les mains.
Alors oui, Lost Odyssey est aussi bien optimisé que GTA San Andreas, oui, son character design peut diviser, oui, certaines textures demeurent affligeantes techniquement, mais peut-on obscurcir une expérience de jeu fabuleuse à raison de ces broutilles à la légitimité plus que douteuse ? Lost Odyssey est un RPG ultra classique, ayant fait "l'erreur" de l'assumer et d'en jouer constamment, passant ainsi pour les indigents d'esprit comme un jeu à la trame has been, ou nanar, au détriment de toutes les émotions fortes et sincères qu'il peut véhiculer en osant uniquement se prendre au jeu… On ne joue pas à Lost Odyssey, c'est lui qui joue avec nous, avec notre conception de l'existence, par la mise en valeur d'un débat philosophique portant sur la vie et la mort… Alors certes, on peut bien sûr se priver de l'œuvre de Mistwalker pour des discordances d'avis avec le genre, son gameplay ou même son design, mais en faire un mauvais jeu pour des "conneries de geek" et une totale incompréhension de sa ligne directive, c'est définitivement gerbant, mais bel et bien révélateur du visage de la critique vidéoludique actuelle.
29 février 2008 à 20h15

Par

Points positifs

  • L'intensité de l'expérience de jeu
  • L'intensité des thèmes abordés
  • L'intensité de certaines scènes
  • L'intensité des rêves
  • L'intensité des combats

Points négatifs

  • Ce qui bon vous plaira
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