Quand on évoque
Killer 7, l’aspect graphique revient régulièrement dans la conversation. La première controverse. Il est vrai que l’esthétique incroyablement maîtrisée du titre de
Capcom divise : entièrement réalisé dans un
toon shading étonnamment terne, adulte, empruntant au Sin City de Robert Rodriguez son visuel cru et épuré,
Killer 7 sort des sentiers battus pour proposer un rendu unique, qui complète son identité bien marquée. La réalisation ne laissera certainement personne indifférent, puisqu’incontestablement soignée. Mais résumer le soft à son seul plumage serait passer à côté de ce qui en fait l’une des œuvres vidéo-ludiques les plus polémiques de l’année.
Un héros schizo, c’est concept
Comme son nom l’indique,
Killer 7 permet d’incarner un tueur. Un mercenaire un peu spécial toutefois, puisqu’il s’agit d’un grabataire impotent qui répond au nom de Harman Smith. Flanqué d’une infirmière, Samantha, qui l’aide à se déplacer en fauteil roulant, Smith possède une faculté suffisamment rare pour faire de lui le tueur le plus redouté du milieu : tel un super-schizophrène, Harman est capable de matérialiser sept personnalités aux capacités propres et aux pouvoirs paranormaux des plus insolites. Sept personnalités, sept tueurs, sept façons de buter du vilain. Que ce soit Dan Smith et son inséparable colt, Kaede Smith et sa robe tachée de sang, Kévin Smith et son don d’invisibilité, Coyote Smith le latino-flingueur, Con Smith et sa dextérité hors-norme, ainsi que Mask de Smith le bourrin de service, chacun est doté de capacités spécifiques qui devront être utilisées à des points stratégiques du jeu. Dernière personnalité d’Harman, Garcian Smith est un nettoyeur en costar capable de faire renaître les « personnalités » tuées au combat et possède à ce titre un statut particulier vis à vis du gameplay.
Le contrat d’Harman Smith et de ses
Killer 7 est simple : buter Kun Lan, un psychopathe qui a des vues un peu trop entreprenantes sur notre planète bleue. Ce dernier contrôle les Heaven Smile, sorte de créatures en extase, fluos-kamikazes à mi-chemin entre les zombies de Resident Evil et le Joker de Batman. Quelle que soit leur forme (humaine, sphérique, rampante, volante, etc.) leur façon de tuer suit invariablement le même procédé : avancer vers Smith, s’agripper à lui et se faire sauter jusqu‘à la mort de votre avatar. Les expédier en enfer est du reste aussi simple : les farcir de plomb, vider son chargeur jusqu’à ce que les Heaven Smile explosent dans un pluie d’hémoglobine et un rire aussi malsain que répétitif. Simple, mais radical.
Killer 7 a-t-il un gameplay ?
Premières secondes pad en main, premier choc :
Killer 7 est un rail. Oui, vous avez bien lu. Pour avancer le personnage, il suffit de garder appuyée la touche A et Smith se déplace selon un itinéraire scrupuleusement pré-établi. Lors des embranchements, un menu contextuel apparaît alors pour demander au joueur ce qu’il veut faire ou voir. Un autre bouton permet de rebrousser chemin. Le mot décor prend alors tout son sens : on traverse les tableaux d’un trait, sans possibilité de régler la caméra, ni de tirer sur le décor. Tirez sur un vase à bout portant, il ne bougera pas, il n’y aura même pas d’impact; tirez sur
LE vase, et il explosera. Notez tout de même que les objets et éléments contextuels sont signalés au joueur comme le sont les directions : j’arrive à un embranchement, j’ai le choix entre : continuer (appuyer sur la gauche), aller dans la cuisine (appuyer sur haut), regarder le vase (appuyer sur la droite). Oubliez donc les notions de liberté, d’exploration et de découverte :
Killer 7 se traverse comme un couloir entrecoupé en sept chapitres. Rien que pour cette orientation furieusement liberticide, le titre de
Capcom s’aliène sans doute les deux tiers du grand public. Et c’est peut-être justement ce qu’il recherche.
Il a également été dit que
Killer 7 était un FPS, en ce qu’il fallait tirer sur les ennemis au moyen d’une caméra une vue subjective. La réalité est ici aussi sensiblement différente : avec ses munitions illimitées, son seul type d’arme, son écran de
reload singeant des titres sur borne d’arcade, sa progression sur un rail et ses intersections contextuelles,
Killer 7 emprunte davantage aux jeux de shoot, comme un
House of the Dead qui passerait à la troisième personne pour les déplacements. Lorsque l’on entre dans une pièce avec un ennemi, seul son ricanement de fou permet de le localiser. Il faut ensuite passer en vue subjective (première gâchette); l’ennemi est toujours invisible. Il faut ensuite appuyer sur une seconde gâchette pour matérialiser celui-ci. Il est possible de locker le Heaven Smile, mais il est plus intéressant de viser le point faible plus précisément afin de le tuer en une balle et de récupérer son sang et ses globules rouges, seuls capables d’upgrader les personnages et de les restaurer en cours de partie. Cette rigidité absolue amène une question :
Killer 7 a-t-il un gameplay ? Peut-on parler, en effet, de gameplay, quand celui-ci semble réduire le joueur à un rôle d’exécutant, et que les mécaniques de jeu (progresser, tirer, actionner des mécanismes) sont reléguées au second plan et ne se résument qu’à quelques fonctions régaliennes, juste assez, en fait, pour faire de
Killer 7 un jeu vidéo ?
Le système de sauvegarde et de changement de personnages (il faut aller regarder une télévision), et l’aspect cinématographique -on jurerait parfois reconnaître Lars Von Trier- et alambiqué du scénario, couplé avec un système de progression qui s’inspirent davantage des livres dont vous êtes le héros -ou Hugo Délire- que de
Resident Evil, font de
Killer 7 un titre à l’intégrité si poussée qu’elle risque d’effrayer une grande partie de la communauté des joueurs. A l’image d’Izawaru, avatar S.M. sous LSD suspendu au plafond pour orienter son Maître, certains aspects du jeu ne plairont pas à tout le monde. C’est la grande force du titre : il s’impose au joueur sans compromis, l’écrase sous ses contraintes et l’oppresse en permanence par ses délires qui laissent au joueur l’entière interprétation d’un scénario malsain qu'on jurerait écrit par un drogué en pleine hallucination.
Voilà pourquoi il serait un peu trop simple d’affirmer, comme certains le font ailleurs, que «
Killer 7, on adore ou on déteste». La question n’est pas là : l’œuvre de Kobayashi-san s’accepte sans conditions, pour la vivre pleinement en rentrant dans le « trip » de son auteur, en tolérant ses rigidités, en endurant ses longueurs.
Killer 7 n’a peut être aucun défaut, si ce n’est de ne pas être fait pour la majeure partie d’entre vous. La notation tient donc compte de ceux qui "joueront le jeu".