Eric Viennot nous parle d'Alt-Minds

Eric Viennot nous parle d'Alt-Minds

Alt-Minds - PC

Genre : Fiction Totale - ARG

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La semaine dernière, Orange nous a invité à rencontrer Eric Viennot, le créateur du célèbre In Memoriam et du prochain Alt-Minds. L'occasion pour nous, avec Mandark, notre confrère de Games In The City, d'en apprendre davantage sur sa prochaine production. On en a également profité pour lui demander son avis sur le jeu vidéo actuel. Et attention, ça taille...
Games in the City : Est ce que tu peux nous parler un peu d'Alt-Minds ? Eric Viennot : Alt-Minds, c'est le fruit de 10 ans d'expérience dans la fiction transmédia, un nouveau style de jeu qui mélange tous les médias, simultanément. En parler comme ça, d'une manière générale, ça va être compliqué parce que c'est un projet assez ambitieux et qui a plein d'aspects. Mais pour simplifier, c'est un jeu d'enquête, d'aventure, qui prend en compte les réseaux sociaux, les nouveaux usages. C'est un peu le renouveau du jeu d'aventure. Beaucoup de gens me disent que le jeu d'aventure, le point'n click, c'est daté, que maintenant les scénarios sont intégrés dans des jeux d'action. Mais il y en a d'autres qui aiment ces jeux d'énigme et de réflexion, et qui peuvent se retrouver dans ce genre de nouveau concept, comme Alt-Minds. Gamehope : Est-ce que tu peux nous éclairer sur le scénario du jeu et les thématiques abordées ? Eric Viennot : Après In Memoriam, j'ai voulu changer un peu d'univers. C'était un thriller assez sombre, voire glauque, avec une histoire de tueur en série. Je trouve qu'on a beaucoup vu ce genre d'histoire, notamment dans les séries et dans les jeux, et j'avais envie d'aller dans un univers un peu plus extraordinaire, moins basé sur la peur mais davantage sur le mystère. Et donc je me suis documenté sur pas mal de sujets scientifiques. Si on prend des références de télé, l'univers est assez proche des séries comme Lost, Fringe ou Les Expert pour la partie analyse. On va avoir des outils qui vont nous permettre d'analyser des images, d'y trouver des indices. C'est un mélange de tout ça. Pour simplifier, c'est un thriller paranormal. Games in the City : Il n'y a pas beaucoup de personnes qui ont ta démarche, qui considèrent que le transmédia est inévitable. C'est ton propos en fait. Eric Viennot : Effectivement, surtout quand on se place du côté des gens de télévision. Les séries télé vont évoluer d'une manière inévitable vers l'interactivité, les réseaux sociaux, le jeu. Pourquoi ? Parce qu'on voit de plus en plus les adolescents passer du temps sur Internet, sur les réseaux sociaux. Pour eux, jouer sur console et surfer sur internet, sur Facebook, c'est naturel. Il n'y a pas de différence entre ces activités. Pour eux, c'est un peu la même chose. Et donc, ces gens là vont être de plus en plus demandeurs d'univers dans lesquels ils vont pouvoir interagir avec les personnages, voire modifier le cours de l'histoire. Des choses qu'on trouve naturelles dans le jeu vidéo, si bien que, quand on regarde la télé d'une manière passive, on se dit : « mais j'aimerais bien pouvoir discuter avec Jack Bauer ». Au bout d'un moment, je pense que les extensions transmédia pour les séries vont devenir une obligation, et qu'à terme beaucoup d'entre elles vont évoluer vers quelque chose qui ressemblera peut-être à Alt-Minds, un mix entre le jeu vidéo, les réseaux sociaux et la série télé traditionnelle. Gamehope : Avec Alt-Minds, tu pousses l'immersion à un tout autre niveau. Tu n'a pas peur qu'il se reproduise le même genre de petit incident qu'il y a pu avoir avec In Memoriam ?(NB : un joueur s'était blessé après avoir reçu un sms du tueur à 3h du matin) Eric Viennot : On est obligé d'aller dans le sens de l'histoire. Alors effectivement, il se peut, à un moment donné, qu'il se passe un truc qu'on a pas prévu. On propose des missions avec le téléphone mobile qui vont amener les joueurs dans la rue. Il se peut malheureusement qu'il y en ai un qui se fasse une entorse. Je ne crois pas qu'on pense à ça quand on est créateur. On pense à faire évoluer son média. Mais on veille malgré tout, et c'est le cas sur Alt-Minds, même si c'est un jeu qui s'inscrit dans la réalité, avec un côté très réaliste et une immersion totale (on a les profils Facebook des personnages, on peut dialoguer avec certains d'entre eux), ce qui rejoint le concept de fiction totale que je met en avant, à ce que les gens, comme dans un jeu de rôle, sachent faire la différence entre le jeu et la réalité. Quand on lance l'application, il y a un générique. On est vraiment dans un cercle magique, on sait qu'on entre dans une fiction. Même si on fait tout pour que ça ait l'air très réel. En tant que game-designer, je veille à bien séparer les choses.
Gamehope : Faire de ce concept de fiction totale une réalité, ça doit demander la mise en place d'une logistique et de dispositifs inhabituels. Ne serait ce que pour que le gameplay fonctionne. Eric Viennot : Le gameplay en lui même est assez simple à mettre en place. Enfin, c'est toujours compliqué, vu qu'on a affaire à plusieurs médias. Mais le plus compliqué, c'est d'arriver à rendre tout ce dispositif cohérent. Je reproche beaucoup à certains jeux, notamment dans certains jeux d'aventure ou de réflexion, comme Professeur Layton, d'avoir parfois un bon scénario, et puis il y a des mini-games, qui arrivent et qui ne sont pas justifiés. On a essayé au maximum de justifier ceux de Alt-Minds. C'est sur la cohérence de l'ensemble qu'on a le plus travaillé. Quand on veut créer un univers crédible, il faut que tout ait l'air vrai et qu'il n'y ait pas de gameplay qui arrive de nulle part, comme un cheveu sur la soupe. Games in the city : Sinon le joueur aura du mal à se sentir impliqué et risque de décrocher. Eric Viennot : Exactement. On rentre dans ce genre d'univers parce qu'on lui trouve une certaine crédibilité. Parce que contrairement à un autre type de jeu, où on incarne un avatar dans un univers virtuel, on est ici soi-même pris à parti. Et donc, si tout d'un coup, il y a un truc qui n'est pas crédible, ça casse l'immersion et on se dit tout d'un coup : « ça j'y crois pas. » Il faut vraiment que tout soit cohérent. Et il y a une autre dimension qui était compliquée : on est dans un jeu qui joue aussi sur le temps. L'aspect temps réel, c'est un parti pris qui me paraît indispensable aujourd'hui. Parce que tout le monde est sur les réseaux sociaux et il me paraissait évident qu'il fallait pouvoir suivre le déroulement des évènements en temps réel. Sans ça, le jeu serait moins immersif. Gamehope : En parlant de ce côté temps réel, il y a une partie des épisodes qui seront tournés après le lancement du jeu. Est-ce que vous comptez inclure des événement de l'actualité dans l'histoire ? Je pense notamment aux élections américaines. Eric Viennot : C'est pas tout à fait ça. Je trouve nécessaire en effet de tourner certaines séquences en temps réel, comme certains plans intégrants les joueurs dans l'histoire. Pour que, si a un moment donné, tu te retrouves mis en avant par rapport à telle énigme, on puisse t'intégrer dans l'histoire. Après, certaines séquences seront éventuellement ajoutées. Il paraît évident que s'il y a un événement mondial important, on puisse l'intégrer. C'est pour ça qu'on veut filmer certaines séquences. Mais il s'agit de séquences, pas d'épisodes complets. On ne peut pas improviser. Tout est quand même préparé longtemps à l'avance.
Games in the city : Là où Alt Minds est intéressant, c'est par rapport à ton approche du jeu vidéo. Quand Heavy Rain est sorti, il a divisé, certains disant que ce n'était pas un jeu vidéo, malgré le fait que l'interactivité soit bien là. Un peu comme s'il y avait un blocage au niveau de l'industrie, du public, sur ce que doit être un jeu vidéo et que les gens avaient peur de sortir de cette idée prédéfinie. Eric Viennot : Au contraire, je trouve qu'Heavy Rain fait avancer les choses. La volonté d'un artiste, quelque soit son domaine, c'est d'ouvrir de nouvelles portes. Et donc de remettre en question ce qu'est le cinéma ou la littérature, pour ceux qui sont dans ces domaines. Quand Rimbaud est arrivé, il s'est fait massacrer par ses confrères qui disaient que ce n'était pas de la poésie, que c'était vulgaire. Dans l'architecture, un ingénieur comme Eiffel arrive et construit la Tour Eiffel. Ses confrères lui disent que c'est n'importe quoi, un truc d'ingénieur, c'est pas ce qu'on nous a appris. Et pourtant, aujourd'hui, ce qu'on retient de l'architecture du 19ème siècle, à Paris, c'est la tour Eiffel. Il fait avancer son propre art, et je pense que, dans ce sens-là, un jeu comme Heavy Rain ouvre de nouvelles voies et explore d'autres définitions de ce qu'est le jeu vidéo. Après, qu'on juge que ce soit un jeu ou pas, moi je m'en fous un peu. Par contre, là où je suis plus critique, c'est sur la façon dont c'est fait. Le scénario est irréprochable, la réalisation est très bien, mais j'ai eu le sentiment à un moment donné que je n'avais pas de choix, contrairement à ce que disait David (Cage). J'ai eu l'impression de subir le gameplay à certains moments. Et c'est peut-être ça que certains joueurs ont regretté et critiqué, plus que le fait que ce ne soit pas un jeu. Parce que quand on voit un titre comme Journey, pour lequel on peut aussi se poser la question, les vieux hardcores gamers l'ont moins critiqué qu'Heavy Rain. Je pense aussi que c'est parce que David Cage est quelqu'un qui a un propos assez rentre-dedans, et que du coup il donne le bâton pour se faire battre. Games in the city : De nos jours, on a un peu l'impression que le marché se divise en deux. Qu'il y a d'un côté toute une gamme de jeux mainstream et puis, de l'autre, ceux qui ont marqué les joueurs sensibles à une certaine émotion. Je pense entre autres à ceux de Fumito Ueda ou encore Limbo, Flower, etc... Et il y a des jeux comme Spec Ops : The Line qui, en restant dans un genre spécifique, cherchent à sortir des sempiternels clichés. Et j'ai l'impression que c'est indispensable, parce que sinon on va finir par s'emmerder dans les prochaines années. Eric Viennot : Je trouve qu'on s'emmerde déjà pas mal quand je vois ce qui sort de nos jours. Ce sont de belles productions, c'est bien foutu, mais une fois qu'on y a joué, on se dit : so what ? J'aime beaucoup Michel Ancel, mais j'ai joué à Rayman sur iPad. D'accord, c'est joli, c'est bien foutu, c'est mignon. Mais qu'est ce que ça apporte de nouveau ? C'est sûr que ça donne l'accès à un public qui n'y aurait jamais joué sur console. Mais j'ai pas accroché. Pourtant, je suis un fan de Michel Ancel, de Rayman et j'adore l'iPad. J'attends autre chose. Sur iPad, j'ai adoré des jeux comme Kingdom Rush, qui ne sont pas forcément narratifs... C'est étonnant. Après je pense qu'Alt-Minds aussi va être critiqué sur certains points. Parce qu'on est à la limite entre le jeu et la série, dans un nouveau type d'expérience. Alors il y en a qui vont adorer pour le côté immersif, mais il y a des choses qui font moins jeu, au sens où on l'entend habituellement. J'essaye à chaque fois de faire avancer mon média, de me demander comment on peut raconter une histoire aujourd'hui ? Qu'est-ce que j'ai envie de vivre comme expérience ? Ce sont des questions qu'on se pose sans arrêt. Et ça abouti à un concept comme Alt-Minds, qui va forcément susciter des interrogations et être critiqué. Et puis on est observé, aussi bien par les gens de la télé, du cinéma, que du jeu vidéo parce qu'eux aussi se posent des questions sur comment amener l’interaction. Une autre question qui va être fondamentale d'ici 5 à 10 ans dans la fiction transmédia, c'est comment arriver à raconter une histoire prenante, engageante, qui apporte des émotions et en même temps permette aux joueurs de s'intégrer à cette histoire, de pouvoir discuter avec les personnages, d'en modifier certains aspects, et d'éventuellement en devenir le héros. Ce sont des problématiques pour lesquelles les créateurs de jeux vidéo ont une expérience de 20 à 30 ans, et que les gens de cinéma commencent à peine à se poser. Mais ça va être long. Contrairement à ce qu'on pense, les choses bougent très lentement. Parce que quand on commence à s'attaquer à la télévision, qui fonctionne sur un vieux modèle encore rentable malgré tout, on rencontre de la résistance. Quand j'ai démarré Alt Minds il y a quatre ans, je pensais qu'il y aurait plein d'autres choses, pas forcément identiques, mais équivalentes qui sortiraient. Mais ce n'est pas le cas. Je me sens un peu seul.
Gamehope : Dans le milieu du jeu vidéo, certaines voix s'élèvent, affirmant que le média doit évoluer. Je pense notamment aux propos qu'a tenu Jade Raymond, affirmant qu'il devait grandir et aborder des sujets importants. Vous êtes d'accord avec ce constat ? Eric Viennot : Je suis entièrement d'accord. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas, à travers le jeu, l'interactivité, aborder des sujets sérieux. On a cité de grands créateurs comme Ueda tout à l'heure, qui est l'un des rares à mettre en œuvre la thématique du deuil, qu'on a un petit peu aussi dans Limbo. Et donc je ne vois pas pourquoi on ne s'intéresserait pas à ces problématiques, à ces thématiques universelles que d'autres arts traitent. On a tous les moyens nécessaires pour le faire. Vous êtes nés avec le jeu vidéo et vous n'êtes pas des petits jeunes. Vous êtes certainement aussi fans de séries américaines, qui traitent des sujets profonds. Alors pourquoi, dans les jeux vidéo, on en reste à tirer sur des monstres ? Après, il ne faut pas caricaturer. Il y a quand même des créateurs de jeux, même mainstream comme les productions Rockstar, qui abordent certains de ces sujets. Mais c'est vrai que ça reste encore une minorité. Games in the city : Et qui n'est pas forcément appréciée pour ce qu'elle fait. Eric Viennot : Ce qu'il faut se dire aussi, c'est qu'on est au début d'un nouvel art. Et qu'avant d'aborder ce que j'appelle la cerise sur le gâteau (c-à-d l'émotion, la thématique), il faut déjà construire la grammaire. Dans le transmédia, avec Alt-Minds, on a passé beaucoup de temps à réfléchir aux outils qu'on allait développer, au concept et à la narration mais, comme dans beaucoup de production de jeux, on n'a pas toujours suffisamment de temps pour travailler sur l'émotion. Mais ça viendra plus tard. Il y a quand même des séquences avec de l'émotion, mais on est encore en train de créer notre grammaire. On est en train de grandir avec ça. Et on pourra traiter des thématiques quand on aura une grammaire un peu plus établie. C'est pour ça qu'après une quarantaine d'année de jeux vidéo, on commence à voir des titres comme Limbo, Shadow of the Colossus ou Heavy Rain. On remercie Orange d'avoir permis cette entrevue.

15 octobre 2012 à 09h16

Par pattoune

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Heavy Rain

  • Genre : Film Interactif
  • Date de sortie France : 24 février 2010
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  • Développé par : Quantic Dream
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  • Date de sortie France : 21 juillet 2010
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Davantage ours que savant, ce con n'a pas compris que l'hibernation c'est en hiver. Résultat, il reste cloitré dans sa grotte à longueur d'année. Ce qui arrange bien du monde. Mais ce n'est pas un mauvais bougre. Il est même plutôt drôle à l'occasion. C'est souvent à ses dépens mais chut, il faut pas le dire. Ayant été récemment rattrapé par l'eau courante et l'électricité, il est désormais en mesure, après avoir difficilement assimilé les bases de l'hygiène corporelle, de nous livrer tests, news et autres contenus enchanteurs. Il nous reste plus qu'a espérer qu'il ne lui vienne pas l'idée de faire prendre un bain à son PC... Trop tard.
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