Test : Warhammer Online : Age of Reckoning - PC

Warhammer Online : Age of Reckoning - PC
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Contrairement aux titres solos classiques où le trompe-l’œil des facéties marketing peut suffire à assurer la réussite d’une franchise dont le nom est porteur de réputation, les MMO, dont la dynamique ludique est directement confiée à la communauté des joueurs qui s’y impliquent quotidiennement, misent leur existence sur leur potentiel de fidélisation et sur leurs qualités propres. A l’évidence, une marque aussi prestigieuse que Warhammer, déclinaison aujourd’hui protéiforme du célèbre jeu de plateau de GameWorshop, ne pouvait manquer d’attirer la convoitise d’un éditeur ambitieux et prêt à supporter le face à face avec les monstres colossaux qui se partagent aujourd’hui le marché… C’est GOA et Mythic Entertainement qui, après maintes péripéties d’acquisition de licence et plusieurs années de développement, ont décidé d’allier leurs efforts et de relever le gant en proposant aujourd’hui le tant attendu Warhammer Online : Age of the Reckoning.
Voici maintenant trente ans que le nom de Warhammer est attaché à l’Heroic Fantasy et aux archétypes manichéens véhiculés par les romans précurseurs des années cinquante, eux même ayant copieusement pioché dans l’immense manne des mythologies de tous horizons. Au cœur de l’univers, on retrouve naturellement les poncifs normatifs, aujourd’hui devenus classiques, d’un genre sur lequel l’industrie vidéoludique se repose volontiers lorsque l’inspiration lui fait défaut. Elfes, Orques, Trolls, Gobelins, Succubes, Incubes, Gros Cubes, Petits Cubes, je reprendrais bien un peu d’Ambroisie… La particularité sans originalité - attention oxymoron - du monde de Warhammer est de s’articuler autour de conflits multipartites opposant les catégories forces d’un univers rigidement codifié, fait d’ennemis séculaires, de haines ancestrales, de problèmes de cousinage et de voisinage, d’affrontements sanglants sur la ligne d’horizon d’une traditionnelle domination territoriale : depuis la nuit des temps [salut Norman] chaque espèce a à cœur d’équarrir les ressortissants de sa Némésis. Les elfes noirs assoiffés de ténèbres massacrent du haut-elfe, les nains bourrus descendent de leurs montagnes à toutes fins de hacher orc et gobelins, l’ordre fait perpétuellement face au chaos et il allait comme d’une évidence qu’une binarité aussi radicale appelait un jeu orienté autour d’une structure de guerre globale en Royaume contre Royaume. Nous ne sommes donc pas surpris de retrouver au centre de ce Warhammer Online les classes qui font les us et les coutumes de nos avatars chéris [la force/faiblesse d’une franchise si souvent pillée] ni la mécanique de jeu archi-manichéenne - quoique dans une déclinaison heureusement enrichie - qui fit les beaux jours [salut Samuel] de l’antique Dark Age of Camelot. Dans le monde de Warhammer Online la guerre ne fait pas uniquement rage sporadiquement, isolément, confinée à la fange de marais interlopes ou aux roncières d’un sous-bois, mais en chaque contrée, en chaque forteresse, au fond de chaque déclive propice à la maraude et au traquenard, et la ligne de front ne cesse de se mouvoir au gré des triomphes et des débâcles essuyés par les hordes de guerriers qu’assemblent et relâchent perpétuellement chacun des deux camps. Contrairement à certains jeux massivement multijoueur qui tentent encore d’asseoir leur réussite sur la promotion d’aventures individuelles et d’affrontements contre les créatures politiquement neutres [mais assurément hostiles] qui peuplent leurs environnements, Warhammer Online joue plutôt la carte de la collaboration de masse et du sacrifice des exploits particuliers sur l’autel de la cause raciale… Ne parlons pas ici d’originalité… Disons plutôt « affaire de parti pris. »

« J’ai dit Banal, Banane ! »

Aux éléments fondateurs de la franchise Warhammer répondent divers archétypes postés en vis-à-vis, chacun à un bout du spectre de l’alignement Ordre/Chaos. Pour le Saint Jean du Texte Biblique, « au début était le verbe ». Pour Saint Richard Garriot et ses évangélistes rôlistes, « tout a toujours commencé par le choix de la race »… Ainsi débute donc la traditionnelle constitution de votre double aux royaumes de l’épopée…Warhammer Online propose six races parmi lesquelles choisir son personnage, des peaux vertes bourrus aux hauts-elfes terriblement narcissiques, et quarante carrières différentes. On regrettera d’emblée, mais sans s’en étonner davantage, que les identités séculaires dont sont friandes les concepteurs des jeux de rôle montrent ici si peu d’originalité. Les noms et les descriptions ont beau affrioler et laisser suspecter des différences radicales au niveau des mécanismes de jeu afférant à chaque classe de combattant, on reconnaît bien vite les grandes désinences classiques dont le ressac crée comme un écho de déjà-vu d’un jeu à l’autre : spécialistes du corps à corps [Lion Blanc, Maîtres des Epées, etc.], spécialistes des rushes sanguinaires [la très plastique Furie des Elfes Noires], jeteurs de sorts offensifs [Sorcières de tous bords], stimulateurs de caractéristiques, guérisseurs [Cultiste, Prêtre] etc… Malheur à celui qui vit cela un bon milliard de fois… Le souci d’équilibrer les deux camps a également contraint les développeurs à offrir à chaque carrière sont double de l’autre côté du miroir. Si ce choix raisonnable limite assurément les expériences de jeu et fait honneur à une certaine rhétorique cosmétique [les divergences visuelles persistent même si les mécanismes ludiques avouent leurs similitudes] il permet d’avoir en contrepartie un catalogue de races et carrières trouvant aisément leur rôle sur le champ de bataille. Admettons d’ailleurs qu’il est assez rare de rencontrer un jeu massivement multijoueur aussi équilibré dès la mise en service des premiers serveurs… Mythic a pris ses précautions pour que les joueurs n’aient pas à assurer eux mêmes la phase de débogage ou à dresser l’inventaire des fonctionnalités promises et des promesses non tenues. D’autres développeurs [suivez mon regard] pourraient s’inspirer de cette honnêteté élémentaire. Cela dit les égocentriques et les gribouilleurs de figurines ne manqueront pas de déplorer une certaine aridité au niveau de la présentation, aridité que l’on empressera de mettre sur le compte de la sortie un peu précipitée [cinq années de développement, une paille] du titre : si les opportunités de personnalisation de vos avatars existent bel et bien, bracelets, balafres, maquillage, postiche, much much ado about nothing, elles restent faibles et peu impressionnantes visuellement… Hélas, le même constat sera à établir en ce qui concerne la représentation graphique des diverses babioles et effets de verroterie qui tomberont entre vos mains. Entre l’épée ciselée d’adamantine du champion couvert de louanges et le ridicule coutela de l’impétrant novice, une fine larme de tristes pixels… De quoi décontenancer le nombrilisme bien connu des amateurs du kitsch…

An annoying sense of Déjà-vu…

Avant d’entrer plus en détails dans l’infrastructure narrative du jeu [qui nous mettra au prise avec quelques considérations d’ordre sociologique et littéraire], il est nécessaire de préciser la mécanique rôliste sur laquelle repose Warhammer Online. Comme la plupart de ses pairs, le titre fonctionne sur une progression par niveau d’expérience [40 niveaux disponibles] et l’acquisition de caractéristiques spéciales dévolues à la carrière que vous avez décidé d’endosser. Ici l’expression résumant l’orientation du jeu en termes de construction rôliste serait assurément, « Classissisme élaboré » ou « Baroque mineur ». Laissons la révolution aux audacieux… Fidèle à la tradition instaurée par d’illustres devanciers et aux mécanismes du jeu de plateau auquel il emprunte le nom [lesquels fusionnent en un système temps réel proche de ce que proposait The Witcher], les pouvoirs spéciaux de Warhammer prennent place dans une barre de raccourcis tout aussi commode que classique et sont disponibles à concurrence de la dilapidation de certains points d’action se régénérant progressivement au fil du temps. Attaque dévastatrice, attaque de zone, attaque à distance, diminution de pénalité, accroissement de caractéristiques, sorts, favorisation de coups critiques, Carbonara ou Carbonari, des gourmandises toutes plus ou moins congrues aux spécificités de votre classe et de votre carrière [à l’occasion de certaines fourberies savoureuses, la Furie accumulera « des points de sang » qui alimenteront la soif sanguinaire d’autres attaques impitoyables, pour ne citer là qu’un exemple]. La possibilité d’acquérir plusieurs pouvoirs par niveau auprès d’instructeurs vénaux [il conviendra donc de faire tinter l’obole] en fonction d’une [maigre] arborescence de sous-spécialisation multiplient les opportunités de discrimination identitaire mais les concepteurs ne sont pas arrêtés à ces réjouissances archi-rebattues. Pour se démarquer de la concurrence, Mythic a pris le parti d’offrir à votre personnage la possibilité d’acquérir deux autres types de pouvoirs particuliers : les Tactiques et les Morales. Les premières, touchant essentiellement à vos caractéristiques constitutives, se gagnent lors des affrontements en Royaumes contre Royaumes [RvR] ou automatiquement par tranche de dix niveaux. Les secondes, fruit d’un labeur harassant et opiniâtre sur le champ de bataille [la pellicule mousseuse de la jauge de morale n’aimant rien tant qu’à se gargariser du sang versé], apportent le renfort de coups spéciaux, d’une sauvagerie indicible, qui seront l’occasion de faire de délicieux ravages dans les rangs ennemis et de changer l’issue incertaine d’une bataille en RvR. Ici il convient de relever qu’en dépit de la richesse naturellement prescrite par la profusion des systèmes et des sous-systèmes de constitution de Warhammer Online, le peu de diversité proposée dans les coups spéciaux de chaque carrière a une fâcheuse tendance à homogénéiser ces dernières et que le résultat le plus visible de cette linéarité est la ressemblance, sur le plan strictement rôliste, de deux personnages ayant embrassé des carrières identiques, du moins durant les quinze premiers niveaux du jeu. On remarque rapidement que d’un joueur à l’autre, pourvu que leurs classes coïncident, les stratégies varient peu. Heureusement, un mécanisme arborescent dit « de maîtrise de carrière » permet assez vite d’affiner les particularités de son personnage et de leur conférer une teinte un peu plus personnelle. Le fonctionnement se fonde sur l’acquisition de pouvoirs supplémentaires, Tactiques, Morales ou Offensifs, réservés à qui décide d’orienter sa carrière dans une voie ou dans une autre ; ici il faudra élire sa destinée en tant que combattant et décider entre deux orientations incompossibles : ou adopter une stratégie de diversité plutôt favorable au PvE ou opter pour l’efficacité de niche d’une spécialisation à outrance, très appréciée en PvP. Il va de soi que le rôle qui vous sera dévolu sur les champs de bataille lors des pugilats en équipe dépendra directement des choix opérés, ceux-ci n’ayant rien de définitif puisque vous aurez toujours la possibilité de procéder à une requalification sans pénalité lors des phases de relaxe. Mais là encore, considérant la lenteur avec laquelle le joueur glane ces fameux points de Maîtrise de carrière, il faudra autant de patience que de persévérance… Rien de très surprenant cela dit : il s’agit là des mots d’ordre de tout MMORPG digne de ce nom…

Public Relationship : Quête de l’Ensoi et du Pour-Soi

La structure narrative et le système de quêtes autour duquel s’élabore la mécanique de Warhammer Online profite de la notion de guerre globale entre Ordre et Chaos et propose donc quelques originalités, pour certaines déjà aperçues sous forme d’ébauche dans des jeux comme Dark Age of Camelot. Aparté : Tiens ! Et si j’écrivais une phrase d’une longueur harassante ! Aux traditionnelles quêtes semi-privées qui s’enracinent dans la trame d’un scénario plutôt accessoire, morcelé en une multitudes de micro-conflits sporadiques et dont les détails indispensables ou adventices sont grossièrement disséminés au travers des intrigues caricaturales qui vous lient à des personnages statiques appartenant habituellement à la même race que la vôtre ou à quelques dissidents opportunistes [les fameux PNJ], retranchés derrière les barrières invisibles des avant-postes de chaque faction, des quêtes qui vous mettent le plus souvent aux prises avec les périls classiques d’un environnement farouchement hostile [ici faite une pause dans la lecture et reprenez votre souffle – le rédacteur de cet article sait pertinemment qu’il exagère], le titre propose des espaces de quêtes publiques auxquelles peuvent participer tous les joueurs de manière anarchique et qui s’articulent autour de la bipolarité déjà évoquée, inhérente à la situation de guerre globale qui est celle de Warhammer Online. Ces quêtes publiques, ouvertes en permanence et activées dès lors que vous pénétrez à l’intérieur d’une certaine zone géographique, sont généralement divisées en trois chapitres, vous opposant à quelques résurgences groupusculaires ayant prêté allégeance à la communauté de vos ennemis millénaires, et si les premiers affrontements ne nécessitent que rarement le support d’une tactique de groupe très élaborée [un personnage astucieux est susceptible d’en venir à bout à la seule force de son obstination], la suite requerra le plus souvent la collaboration de combattants complémentaires. Une fois la quête publique achevée, les belligérants recevront diverses récompenses fonction de l’activisme et de l’assiduité dont ils auront fait preuve durant les combats… Puis la quête sera instantanément réinitialisée, n’attendant que la venue d’autres aventuriers en maraude. Mais la force de Warhammer Online ne repose ni sur la diversité somme toute assez rafraichissante de ses quêtes semi-privées, lesquelles tentent de subvertir la logique rudimentaire de l’équarrissage en règle propre aux MMORPG en fournissant des alibis scénaristiques que les joueurs les plus pressés prendront rarement la peine de lire, hélas, ni sur l’ouverture novatrice de son système de quête publique dont la vocation est de faciliter le communautarisme ethnique et la collaboration spontanée de personnages d’une même race, mais sur une mécanique de lutte royaume contre royaume [RvR], avec trois déclinaisons majeures : les missions RvR en instance, dont le déroulement est plus ou moins similaire à celui des parties les plus élaborées d’Unreal Tournament avec objectifs, scoring et points de contrôle [Les Battlegrounds de World of Warcraft ont manifestement fait des émules], les zones RvR dont la logique de fonctionnement est assez proche des zones PvP des jeux massivement mutijoueurs classiques avec les piliers de soutènement de véritables missions plus ou moins scriptées, et les prises de forteresse ou de capitale, vastes batailles rangées en instance unique lesquelles décideront du sort d’une contrée toute entière. Tiens ! Une autre phrase horriblement longue ! L’objectif de toutes ces formes de lutte est d’augmenter la domination du camp auquel vous appartenez sur la région où le scénario se situe et ce jusqu’à la prise momentanée du territoire.
Si la participation à ces réjouissances de grande envergure et toujours placée sous la férule des oppositions naturelles entre races et dans le même contexte de guerre généralisée flatte l’égocentrisme du joueur trop heureux tout à la fois d’augmenter ses points de réputation mais également de concourir à l’expansion de son camp, on aurait cependant tort de considérer le RvR comme une mignardise superfétatoire destinée à briser la ritournelle des affrontements en PvE. D’abord parce que c’est en RvR, c'est-à-dire contre d’autres joueurs humains, que les exigences tactiques sont évidemment les plus prégnantes. Comme c’est trop souvent le cas dans les jeux de rôle informatiques, les créatures de l’environnement se distinguent par une stupidité confondante, se contentant d’attendre bien sagement que leurs bourreaux se présentent devant l’autel et leur tranchent les carotides. Ensuite parce que les développeurs ont pris la précaution de fortement rétribuer la participation aux scénarii RvR. De fait, les batailles en instance contre les ressortissants du camp adverse permettent de gagner une quantité d’expérience considérable au regard de ce qu’offrent les quêtes semi-privées. Le joueur qui fréquentera assidument les arènes dévolues au RvR verra son personnage progresser rapidement et évitera l’absurde rengaine du leveling… Dernière raison de priser le RvR, si la mort de votre personnage en PvE se traduit par une minoration temporaire de vos points de vie, minoration qu’allégera une visite éclair mais couteuse chez votre apothicaire favori, la mort lors des missions en instance ne se traduit par aucune pénalité ! Voilà qui évite les allers-retours fastidieux et accroit la frénésie des combats ! On comprend donc un peu mieux pourquoi les zones PvE, pourtant fort giboyeuses et regorgeant d’ennemis à éventrer, sont souvent désertées au profit des zones RvR, plus rentables, et dont les affrontements, quoiqu’un peu brouillons tournent vite à la plus enivrante euphorie !

« Nous vous aimons bien, Alain. » Hélas, « bien » n’était pas assez…

Il faut également souligner l’accueillante progressivité du système mis au point par Mythic. A l’anarchie inhospitalière de titres comme Pirates of the Burning Sea ou Lineage II où les novices friands de PvP côtoient souvent à leur dépens des champions dont la soif sanguinaire est rarement compensée par un souci de scrupuleuse équité et qui s’empressent donc de les exterminer, les développeurs de Warhammer Online ont pensé à préserver la susceptibilité des joueurs débutants. Plutôt que de plonger les personnages dans le chaos de conflits débridés, expurgés des règles les plus élémentaires de la loyauté, les missions en instance s’organisent par niveau de tels sortes que les rapports de force entre les joueurs sont rarement disproportionnés ; de plus, le développement géographiquement linéaire de la structure semi-privée du jeu et le déploiement du scénario principal [qui n’est, après tout, qu’une annexe prétexte à la situation de conflit global] révèlent une tendance naturelle à fédérer des joueurs de niveaux équivalents au sein des mêmes régions et donc des mêmes soucis scénaristiques. Une hospitalité en trompe l’œil, certes, mais qui permet notamment de maintenir l’équilibre et la réussite des quêtes publiques et des missions en RvR. Les joueurs qui se sont cassés durement les dents contre l’impitoyable difficulté de jeux comme Lineage apprécieront de pouvoir profiter très tôt de toutes les possibilités de Warhammer Online

Prise de Vis sans Coups de Sang !

Avouons que de bonnes idées au registre de l’ergonomie et de la facilité d’appréhension, Warhammer Online n’en manque pas. Des icônes flottant au dessus des quêteurs de héros, des icônes indiquant une manne de points d’expérience à venir collecter, une carte repérant en permanence les types de zones [Publique, RvR, Scénario, Forteresse], des belles ocelles rougeâtres surplombant les lieux où un travail vous attend, la possibilité de créer des groupes ouverts que n’importe quel aventurier peut rejoindre d’un clic, une interface relativement discrète et entièrement modulaire et, en guise de point de confluence de toutes ces bonnes intentions, le fameux tome du savoir [rien à voir avec le fromage homonyme], ouvrage massif à l’intérieur duquel seront automatiquement consignés tous les renseignements que vous serez amenés à collecter durant votre partie. Armés de tous ces outils, vos premières foulées dans l’univers de Warhammer s’avèreront d’une simplicité presque déconcertante. Pas de temps morts, pas de promenades interminables sous le cagnard d’un désert vide de toute vie, pas de plongées harassantes dans une documentation absconse, pas de négociations grince-dents avec les incertitudes d’une boussole récalcitrante ! A l’évidence, les joueurs sourcilleux au chapitre de la courbe d’apprentissage de leurs logiciels favoris seront ravis ; les puristes et les professionnels du jeu de plateau éponyme, lesquels ont l’habitude de manier le mètre mesureur et aiment à jubiler devant les prouesses de leurs figurines chéries au milieu de configurations stratégiques millimétrées, soupireront en considérant les coupes sauvages opérées dans l’énorme bible de règles éditée par GameWorkshop. On ne voit toutefois pas comment Mythic aurait pu faire autrement. Mais si les bonnes idées abondent, quelques défauts surnagent néanmoins au raz de l’effort de finition fourni. Au premier registre de nos légitimes récriminations la gestion un rien brouillonne des combats ; même si ceux là s’avèrent plutôt réjouissants en PvE avec une quantité proprement invraisemblable de coups spéciaux, ils paraissent infiniment moins pointilleux au registre tactique que ceux de Guild Wars, jeu où une mauvaise coordination de coups peut vite s’avérer fatale. Même si l’intrication des quêtes semi-privées, des quêtes publiques et des différentes déclinaisons du mode RvR fournit une pléthore de situations différentes et contrevient à la logique horriblement fastidieuse du leveling à outrance, il ne faut pas perdre de vue que l’essence de tout MMORPG reste le combat et que moins la tactique montre de finesse et plus vite la lassitude s’installe. Ce qui constitue assurément un crime de lèse majesté pour un jeu estampillé Warhammer ! Quant aux affrontements à grande échelle en zone RvR, en dépit de leur euphorisante nervosité, ils restent tout de même très confus, surtout pour les combattants au corps à corps dont l’efficacité repose principalement sur la fourberie et la vélocité. Mais c’est surtout le manque de diversité au niveau des représentations visuelles de vos équipements qui constituera la pierre d’achoppement sur laquelle viendront se briser bien des espoirs. On connaît l’obsessive fascination qu’exerce le looting sur les amateurs de jeux de rôle ; histoire de prestige autant que de rendement… Dans les salons des ministères somptuaires on parle moins des arcanes de la diplomatie que des frais de bouche et certains titres du même genre que ce Warhammer là ont par le passé eu l’indélicatesse d’exacerber l’ostentatoire soif d’exhibitionnisme de l’amateur d’épopée virtuelle. Si les variations sur le thème très prisé du sari, de la cuirasse ou de la hâche de guerre foisonnent effectivement au sein de l’univers de Warhammer Online, les signes extérieurs de richesse sont d’une telle discrétion que l’on finit assez vite par ne plus prêter attention à leur valeur symbolique et par se concentrer sur leur plus stricte efficacité. Le héros de Warhammer Online pour être attaché à la réalité effective de son arsenal, a l’humilité chevillée à la peau. A l’évidence le narcissisme du faire-valoir perd ici ce que la substance meurtrière gagne. Comme monsieur Luciano Benetton en son temps, vous serez souvent obligés de jeter votre carte American Express à la face grimaçante de ceux qui vous demanderont « Who do you think you are… ». S’il faut reconnaître que le préjudice porté sur le plaisir de jeu n’est pas bien grand, il nous faut par ailleurs avouer que c’est ignorer la psychologie du joueur de MMORPG typique que d’écorner ainsi la dimension démonstrativement histrionique de sa « volonté de puissance ». Certains auront bien des difficultés à pardonner cette indélicatesse aux développeurs…

Entre deux Ages. De l’Hyborian au Reckoning

Quant à la partie technique, les cinq années de développement pèsent manifestement sur le bilan comptable des prestations graphiques du logiciel. Heureusement, le design travaillé et chaleureux des paysages que l’on traverse compense largement cette faible teneur en polygones et la pathétique maigreur des effets à caractère masturbatoire que prisent par-dessus tout les concepteurs de FPS. Les plaines des hauts plateaux des elfes tranchent [sic] radicalement sur les cités élégantes de l’Empire lesquelles se détachent facilement des frustres montagnes d’où descendent les nains. Pas de météo variable, hélas, mais des cycles jour/nuit de facture satisfaisante et qui permettent de savourer le bon goût du passage du temps. Pour les créatures et les PNJ, si là encore le rendu est loin d’atteindre celui d’Age of Conan, il efface sans mal les sirupeuses coulées de couleurs criardes de World of Warcraft [ici les goûts se discutent, surtout lorsqu’ils sont mauvais]. La partition se joue toutefois sur un accord mineur entre variété et visées consensuelles : la faute en incombe certainement à la situation de guerre globale et à son indépassable bipolarité. Hors des archétypes de l’hostilité neutre qui patrouillent à l’aveugle en chaque recoin de la carte [ici, la faune est d’une densité incomparablement supérieure à la flore – herboristes s’abstenir], c’est la plupart du temps avec les ressortissants de votre Némésis ancestrale que vous aurez maille à partir… De quoi finir pas lasser les haines même les mieux enracinées… Au registre de l’accompagnement acoustique, les thèmes musicaux trimballent les incontournables sonorités pompières du lyrisme bon marché et les bruitages ne méritent guère d’éloges. On se situe ici à des années lumières des extraordinaires travaux effectués par les gens de The Creative Assembly pour leur série Total War. Heureusement, la partie réseau fait des merveilles et dispense une expérience fluide et sans frustration. Peu de lags, aucune déconnexion sauvage, une stabilité exemplaire et surprenante pour un MMORPG aussi jeune, surtout lorsqu’on compare ce début impeccable aux premiers mois d’exploitation calamiteux du titre de Funcom, Age of Conan. D’aucuns diront toutefois que la population très clairsemée des joueurs présents sur les serveurs français à l’heure où nous écrivons ce test [un point qui, à terme pourrait poser problème] dissimule peut être d’autres failles techniques. Mais il va comme d’une évidence que c’est sur la durée qu’un MMORPG fait valoir l’intégralité de ses atouts… Rendez-vous donc dans quelques mois…

Petit Traité de Phénoménologie : Eloge la Transsubstantiation Virtuelle

Sans vouloir répéter les arguments avancés dans le dossier sur le phénomène sociologique des MMO, lequel dossier devrait être posté sur notre site dans quelques jours, il est difficile de ne pas aborder de manière synthétique la façon très particulière dont se déroule la narration au sein de l’univers de Warhammer Online et de ne pas discuter des opportunités immersives qui lui sont liées. Car le titre de Mythic ne modifie pas substantiellement les fondations du genre auquel il appartient. Comme dans tous les autres MMORPG, c’est l’égalitarisme radical qui domine et fournit son cadre directif à la superstructure scénaristique ; chaque joueur reçoit ainsi la possibilité de revendiquer les mêmes droits et privilèges que son voisin au regard des opportunités offertes par le scénario. Du coup les strates de narrations identiques et les artifices transversaux censés instaurer des liens ombilicaux entre elles se multiplient avec ce que cette profusion de destins homothétiques et pourtant incompossibles au regard de la cohérence interne du scénario impose de paradoxes et d’incohérences sur la mécanique globale du jeu. Citons quelques uns de ces impératifs contradictoires que l’on retrouve à l’œuvre dans le titre qui nous concerne : immense densité de population des ennemis en zone PvE, renouvellement orgiaque de ces ennemis comme autant de points clefs de la narration [dans Warhammer Online à peine avez-vous abattu tel troll pustuleux que son clone réapparait instantanément dans votre dos, abandonnant le soin de son éradication à la jurisprudence revendicative de votre voisin de jeu, lequel entend bien jouir des mêmes privilèges que vous], invincibilité relative des PNJ que vous avez pour mission d’assassiner - lesquels doivent effectivement rester disponibles pour les joueurs qui vous succèdent dans l’ordre symbolique des évènements du jeu, réduction outrancière de la liberté morale dont jouissent les personnages agissant [pour d’évident souci d’équilibre narratif], concurrence visible des participants dans le déploiement de quêtes prétendument singulières, etc… Ces contradictions entre la dimension « massive » de l’espace de jeu et la singularité adventice mais hautement jurisprudentielle des destins individuels qui le peuplent porte assurément préjudice au processus d’immersion. Au lieu d’avoir l’impression d’investir un monde proprement dynamique et concurrentiel, abandonné aux décisions imprévisibles d’une communauté véritablement hétérogène et en proie à ses propres dissensions internes, le joueur se retrouve confronté à une accumulation non complémentaire de destins vaguement identiques, régis par la même avidité égalitariste : « je ne peux nullement être privé de ce qu’est en droit d’accomplir mon voisin, quand bien même celui là serait un Héros. » Difficile de se laisser entreprendre par une mécanique narrative dont la tâche essentielle tient au devoir de résoudre en permanence ce paradoxe là ! Difficile de ne pas percevoir non plus, dans le développement des quêtes en instance de Warhammer Online [fragment de jeu non massivement multijoueur inventé - si ma mémoire est bonne - par les développeurs de World of Warcraft], une tentative désespérée et étrangement artificielle pour réintroduire un vecteur d’unicité « épique » et d’autonomie dynamique au sien d’un univers devenu rigide et hyper-mimétique [le mimétisme égalisant s’opposant bien entendu aux incommensurables vertus des héros de l’épopée]… Et il faut bien admettre que la mécanique rôliste pâtit lourdement de ce tribut versé à l’égalitarisme. Cantonnée au développement de la toute puissance offensive de votre personnage, tout ce qui a naturellement attrait à l’indépendance éthique d’une personnalité faites de complexes, de frustrations et d’orgueil passe par pertes et profits. Et les alibis scénaristiques dont se drapent les quêtes principales et annexes ne suffisent pas à masquer l’aliénation sous le fard de l’illusion. De là ce constat qui pourrait aisément postuler au rang d’élément conclusif pour l’intégralité des MMO disponibles aujourd’hui : ceux que la primauté d’une mécanique de jeu un rien primitive mais efficace et focalisée sur le développement de personnages homothétiques au sein d’un univers de coopération non concurrentielle [et essentiellement belliqueux] ne dérangent pas, seront assurément comblés par Warhammer Online. Ceux qui peinent encore à se laisser convaincre par l’immaturité patentée des MMORPG et qui se sentent embarrassés par les lacunes immersives de leur structure narrative, héritière de celle des jeux solo et des RPG « papier », ne seront pas davantage convaincus par ce Warhammer Online finalement très conservateur… Le monde des MMORPG attend toujours ce pèlerin fondateur qui sacrifiera les bases posées il y a trente ans par les jeux de rôle papier sur l’autel d’un égalitarisme contradictoire et qui profitera de cette abdication pour réconcilier le caractère « massif » de sa structure sociale avec les libertés et les impondérables d’une narration enfin confiée à une véritable communauté. Malheureusement pour les détracteurs des MMO, Warhammer Online en dépit des très bonnes intentions affichées par son orientation RvR, ne sera pas ce Pilgrim Father là…
Difficile de noter objectivement Warhammer Online : Age of the Reckoning. Se positionnant comme le point focal de toutes les bonnes idées déjà présentes au cœur de ses pairs les plus illustres, nul doute que les joueurs que World of Warcraft a convaincus trouveront largement leur compte [et même plus que leur compte] dans le titre de Mythic. La dynamique très convaincante de la situation de guerre globale, la « richesse » de l’univers de GameWorkshop [et dépit de son classicisme réfrigérant] et les ressources jubilatoires d’un mode RvR très bien équilibré combleront à n’en pas douter les exégètes des MMORPG. Son hospitalité remarquable ralliera également les suffrages des joueurs moins expérimentés et qui souhaitent faire leurs premières armes dans le monde réputé impitoyable des jeux massivement multijoueur. Mais ce titre finalement très conservateur dans ses mécanismes ne viendra pas à bout des réticences et de la perplexité des rôlistes purs et durs qui continueront de penser que les MMO se contentent d’aborder les RPG que par le petit bout de la lorgnette. Narration défaillante, immersion médiocre, mécanique artificielle et liberticide, aliénation asphyxiante et réduction drastique de la scène rôliste ; des tares rédhibitoires que risque de ne pas parvenir à compenser le plaisir pris à élaborer une véritable machine de guerre, clone de celle mise au point par le voisin de palier, et à la jeter au milieu d’un univers par ailleurs très agréable à explorer, fait de savoureuse profusion et d’affrontements permanents… Que ceux là s’épargnent la déception d’un déplacement couteux en ces terres Warhammeriennes. Pour les autres [et la note attribuée au jeu ne concerne qu’eux], Warhammer Online représente le point d’aboutissement logique du genre qu’ils affectionnent, une mécanique efficace et bien rodée, mieux polie mais aussi moins exotique que celle d’Age of Conan sorti il y a quelques mois… Quant aux éternels amoureux de la franchise Warhammer, il faut que ceux là aient bien conscience que la réduction opérée par Mythic dans les fondements stratégiques du jeu original pourrait avoir pour eux valeur de trahison…
19 novembre 2008 à 18h50

Par

Points positifs

  • L'univers de Warhammer [pour les uns]
  • L'immensité et la diversité du monde
  • Mécanique RvR particulièrement efficace
  • Les quêtes Publiques
  • Hospitalité et ergonomie exemplaires

Points négatifs

  • L'univers de Warhammer [pour les autres]
  • Un petit côté "Stratégie en trompe l'oeil"
  • Pauvreté visuelle des personnages et des équipements
  • Réduction des mécanismes rôlistes
  • Décidément trop conservateur !

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  • Date de sortie France : 23 mai 2008
  • Développé par : Funcom
  • Edité par : SCi
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